Tout un chacun s'amuse ces temps-ci à casser du sucre sur le dos de Pauline Marois. Mais il suffit de refaire l'histoire du CHUM pour constater que dans ce dossier crucial, complexe et politiquement périlleux, Mme Marois fut (avec Lucien Bouchard) la seule personnalité politique à exercer un leadership éclairé.

Tout un chacun s'amuse ces temps-ci à casser du sucre sur le dos de Pauline Marois. Mais il suffit de refaire l'histoire du CHUM pour constater que dans ce dossier crucial, complexe et politiquement périlleux, Mme Marois fut (avec Lucien Bouchard) la seule personnalité politique à exercer un leadership éclairé.

Le livre que viennent de publier MM. Robert Lacroix et Louis Maheu(1) constitue à ce sujet un témoignage aussi documenté qu'éloquent. Qu'on en juge.

Sitôt nommée à la Santé dans le gouvernement Bouchard, elle prit le taureau par les cornes. Tenant tête à la bureaucratie de son ministère, qui voulait construire le CHUM à partir de trois vieux bâtiments, elle décida que le futur hôpital universitaire serait construit sur un seul site, et opta finalement pour un terrain sis au 6000, rue Saint-Denis. Dans cette affaire, elle avait eu aussi à affronter l'influent lobby des partisans de l'Hôtel-Dieu.

Le «6000» était une immense amélioration par rapport au site Saint-Luc qu'allaient plus tard favoriser Philippe Couillard et les fonctionnaires de Québec. Il était central et accessible, et son million de pieds carrés offrait une surface beaucoup plus grande que Saint-Luc.

On vit plus tard - et Mme Marois fut la première à s'en rendre compte - que le site Outremont était encore plus avantageux, avec ses trois millions de pieds carrés qui offrait des possibilités d'expansion, et la synergie qu'aurait représentée la proximité du CHUM avec les facultés de sciences.

Pourquoi ce site n'avait-il pas été retenu par les fonctionnaires chargés de recenser les emplacements possibles ? La réponse en dit long sur l'esprit étriqué de la bureaucratie : on n'avait pas pensé à regarder à l'ouest du boulevard Saint-Laurent ! Quand la possibilité de construire à Outremont se présenta, Mme Marois eut la lucidité de se prononcer en faveur de ce projet, même si elle avait travaillé d'arrache-pied sur le projet du 6000, Saint-Denis...

Autre décision intelligente : au lieu de laisser la réalisation du futur CHUM à la direction du vieil hôpital à trois têtes, un groupe divisé et dénué de l'expertise nécessaire, Mme Marois créa une société d'implantation qui réunirait, sous une direction indépendante (assumée par Claude Béland), des représentants de l'hôpital, de l'université et divers spécialistes. Encore là, Mme Marois avait tenu tête à son ministère, qui avait toujours écarté l'université d'un dossier qui la concernait pourtant au premier chef.

Hélas, M. Bouchard démissionna, et Mme Marois fut transférée aux Finances. À partir de ce moment, le dossier stagna. Et quand les libéraux arrivèrent au pouvoir, ils s'empressèrent de démolir le projet du «6000» sur lequel la SICHUM avait travaillé pendant trois ans (était-ce parce que le «6000» était dans le comté d'André Boisclair?). Le nouveau ministre Couillard abolit la SICHUM pour redonner à sa bureaucratie le contrôle entier sur le projet d'hôpital. On reprit tout à zéro, et l'affaire dérailla pour de bon.

Lucien Bouchard fut, dans cette saga, impeccable. Non seulement est-ce sous son règne que le dossier avança rationnellement, mais il appuya sa ministre contre la grogne de la puissante bureaucratie du MSSS qui favorisait toujours le recyclage de vieux hôpitaux, et les divers lobbies qui réclamaient tantôt l'Hôtel-Dieu, tantôt un seul hôpital universitaire plutôt que deux, etc. C'est ce type de leadership qui allait plus tard cruellement manquer à ses successeurs Bernard Landry et Jean Charest.

Plus tard, durant la féroce controverse qui divisa les partisans de Saint-Luc et du site Outremont, M. Bouchard multiplia les interventions publiques en faveur du second... Mais ce fut peine perdue, car la démagogie avait déjà triomphé des arguments rationnels.

(1) Le CHUM, une tragédie québécoise, Boréal.