Décriminaliser sans légaliser. Telle devrait être la devise qui présidera à la révision de la loi sur la prostitution sur laquelle le gouvernement fédéral se penchera un jour, puisque le jugement controversé de la Cour supérieure d'Ontario fera son petit bonhomme de chemin jusqu'à la Cour suprême. Les politiciens seront alors bien obligés de remettre en question la loi désuète et hypocrite qui régit la prostitution.

Décriminaliser sans légaliser. Telle devrait être la devise qui présidera à la révision de la loi sur la prostitution sur laquelle le gouvernement fédéral se penchera un jour, puisque le jugement controversé de la Cour supérieure d'Ontario fera son petit bonhomme de chemin jusqu'à la Cour suprême. Les politiciens seront alors bien obligés de remettre en question la loi désuète et hypocrite qui régit la prostitution.

Hypocrite? C'est peu dire! La prostitution est légale, mais pas la sollicitation, qui est en est pourtant le passage obligé. On a, autrement dit, un commerce légal... mais dont ni la vendeuse ni l'acheteur n'ont le droit de parler! La loi a d'autres vices, notamment celui d'interdire les maisons closes, qui sont pourtant beaucoup plus sécuritaires que la rue.

Dans son poignant témoignage (La Dérobade), l'ex-prostituée française Jeanne Cordelier a bien décrit sa descente aux enfers: d'une maison relativement sûre où les copines, les femmes de chambre ou le concierge pouvaient au besoin la protéger des clients violents, elle est tombée dans la solitude de la rue, exposée au pire.

À Vancouver, une longue recherche du criminologue John Lowman, a bien montré que la prostitution est devenue une «nuisance sociale» à partir du moment où la municipalité a fermé les «hôtels de passe» situés à proximité des bars où s'effectuait le racolage. Le commerce, relégué à la rue, a débordé dans des quartiers où vivaient des familles. À Montréal, la même chose s'est produite quand on a fermé le «Red Light», aux environs de l'angle des rues Sainte-Catherine et Saint-Laurent. Qu'est-ce que la société a gagné à renvoyer les filles dans la rue? À les forcer à pratiquer leur métier dans le huis clos d'un camion ou d'une auto où elles peuvent être violentées ou séquestrées?

Les modèles extrémistes sont à rejeter. Ainsi, celui de la Nouvelle-Zélande, qui a légalisé la prostitution. La prostitution est par essence une pratique hors-norme et subversive, impossible à encadrer. La légaliser reviendrait à faire de la prostitution une activité légitime et normale, et à légaliser le proxénétisme, qui existera aussi longtemps qu'il y aura des prostituées. (En fait, comme l'expliquait Jeanne Cordelier, la présence d'un proxénète et de son clan de voyous est une sorte de garantie de sécurité... triste, mais réelle: le client a le droit de baiser, mais pas de massacrer. Sinon, gare à lui ! Cela n'est pas joli, mais c'est la loi d'un milieu qui est par définition marginal et violent.

On n'éliminera jamais la prostitution. Ce qu'il faut, c'est limiter les risques en la décriminalisant. Autrement dit, la société ferme les yeux, comme elle le fait déjà pour la prostitution «haut de gamme» - le petit monde invisible et ouaté des «escortes» où la clientèle est filtrée -, en tolérant, dans certaines limites, l'existence de «maisons de chambres» vouées à la prostitution «bas de gamme» dans des zones commerciales ou industrielles.

Le modèle suédois pèche lui aussi par angélisme. Sous le couvert de «l'égalité des sexes», la Suède retombe dans le vieux paternalisme en ne sévissant que contre les proxénètes et les clients... comme si les femmes qui se prostituent n'avaient pas, elles aussi, un libre arbitre ou en tout cas une petite responsabilité dans l'affaire.

On n'arrivera à rien en soumettant au tordeur de la répression, comme s'ils étaient des criminels, des clients qui sont généralement des types esseulés ou à la sexualité dysfonctionnelle. Les grands justiciers qui s'imaginent qu'on peut éradiquer la prostitution et nettoyer la planète de tout ce qui offense la moralité ambiante sont des gens dangereux.