Le cynisme des électeurs s'explique de bien des façons, notamment par les rumeurs de corruption et de conflits d'intérêts qui filtrent de partout, comme des eaux usées aux odeurs nauséabondes.

Le cynisme des électeurs s'explique de bien des façons, notamment par les rumeurs de corruption et de conflits d'intérêts qui filtrent de partout, comme des eaux usées aux odeurs nauséabondes.

Mais la corruption, outre qu'elle n'est le fait que d'une minorité parmi les élus, n'est pas un phénomène nouveau. À vrai dire, il y en a beaucoup moins au Québec que dans bien d'autres pays par ailleurs démocratiques (on pense à l'Europe du sud). Il faut creuser davantage pour comprendre le mépris des citoyens envers leurs élus, de même que le sentiment qu'ont nombre de politiciens de leur propre inutilité.

Ce qui s'est passé, ces dernières années, c'est que par lâcheté ou par électoralisme, les politiciens ont renoncé à gouverner. Décider, trancher dans le vif quitte à affronter des huées et à compromettre sa réélection, voilà pourtant l'essence même du leadership et la raison d'être de la fonction politique. Les derniers vrais leaders ont été Lévesque, Trudeau et Mulroney, de même que, dans une certaine mesure, Lucien Bouchard. Par la suite, c'est le modèle Bourassa (second mandat) qui a prévalu: ne rien oser qui déclencherait une polémique, «surfer» sur la crête des problèmes...

C'est pourquoi, à Montréal, point de rencontre d'une administration émasculée et d'un gouvernement provincial pusillanime, rien ne se fait.

En l'absence de leaders politiques capables de prendre position sur des sujets controversés, les groupes de pression de tout acabit - des militants professionnels aux groupes communautaires en passant par les ayatollahs du vélo et les «visionnaires» fanatiques - occupent toute la scène publique, pendant que la droite affairiste continue à mener ses petites affaires en coulisse, indifférente au bien commun.

Le CHUM en est l'exemple parfait. Jean Charest s'est terré tout le temps qu'a duré la controverse sur le site de ce qui devait être notre grand hôpital francophone, laissant le champ libre aux groupes qui luttaient à coup d'arguments démagogiques contre le projet de l'Université de Montréal... pendant que le maire de Montréal restait muet comme une carpe sur ce dossier majeur pour la métropole. On voit aujourd'hui le résultat de cette démission politicienne. Le CHUM est encore dans les limbes, et Montréal est passée à côté du projet porteur qui en aurait fait un centre mondial de la recherche biomédicale.

Même dans un dossier aussi mineur que celui des droits de scolarité universitaires, il a fallu que d'innombrables personnalités de premier plan poussent à la roue pendant cinq ans pour que le gouvernement Charest commence à envisager un très timide dégel.

C'est pareil pour le reste. Le prolongement de la rue Notre-Dame, la réfection de l'autoroute Bonaventure, la revitalisation de Griffintown, l'échangeur Turcot, la rénovation du Vieux-Port, la moindre initiative s'englue dans d'interminables controverses dont les groupes de pression à la représentativité douteuse sortent généralement vainqueurs. Personne, dans ces débats, ne représente les citoyens, je veux dire l'ensemble des citoyens, ceux qui n'ont ni le temps ni le goût de consacrer leurs soirées à des séances de consultation.

En principe, ce sont les politiciens élus qui devraient représenter les citoyens ordinaires. Ce sont eux qui, ayant passé le test ultime de la crédibilité et de la confiance, devraient être les mandataires actifs de la majorité silencieuse. Mais encore faudrait-il que ces élus soient capables de prendre position, et d'accepter que même en politique on ne peut être aimé par tout le monde. Ce sont des qualités qui semblent s'être perdues en route, dans ce Québec qui, autrefois, était capable de construire sans atermoiements les plus beaux barrages au monde. Ah, mais pensez-vous qu'aujourd'hui on pourrait faire la Manic et la baie James?