«Citez-moi un seul cas...» Ceux qui avaient l'âge de raison en 1975 se souviennent de cette plaintive supplique de Robert Bourassa, en réponse à ceux qui accusaient son gouvernement de corruption. Elle m'est revenue en tête cette semaine... et pour cause! Pour les libéraux, ce souvenir doit avoir l'effet d'un pur cauchemar.

«Citez-moi un seul cas...» Ceux qui avaient l'âge de raison en 1975 se souviennent de cette plaintive supplique de Robert Bourassa, en réponse à ceux qui accusaient son gouvernement de corruption. Elle m'est revenue en tête cette semaine... et pour cause! Pour les libéraux, ce souvenir doit avoir l'effet d'un pur cauchemar.

On n'a jamais su exactement dans quelle mesure le gouvernement Bourassa avait subordonné les intérêts de l'État à ceux de ses donateurs, ni même si cela s'était produit plusieurs fois. En fait, une recherche approfondie montrerait probablement que les deux premiers mandats de Robert Bourassa ont été plus productifs que ses deux derniers. Mais à l'époque, le climat de suspicion était tel que les allégations de malhonnêteté allaient précipiter la chute des libéraux.

Ce n'est pas pour l'amour de la souveraineté que la population a élu le PQ de René Lévesque en 1976, mais parce que les gens voulaient remplacer un gouvernement qu'ils croyaient (à tort ou à raison) corrompu jusqu'à la moelle, par une équipe fraîche et neuve qui n'avait jamais trempé dans des magouilles.

Son rapport à l'argent a toujours été la force et le talon d'Achille du Parti libéral. Parce qu'il est traditionnellement proche des milieux d'affaires, des professions libérales et du secteur privé, le PLQ est beaucoup plus riche que le PQ, dont la clientèle (enseignants, artistes, employés du secteur public) a en général des revenus plus modestes. C'est pourquoi les libéraux disposent, en temps d'élections, d'un énorme trésor de guerre... C'est leur force. Mais aussi leur faiblesse, car cette proximité avec les «riches» rend le PLQ particulièrement vulnérable aux accusations de collusion avec les forces de l'argent.

Rien ne prouve que le PLQ aurait contourné plus systématiquement que le PQ ou d'autres partis la loi régissant les dons aux partis politiques. N'importe. «Mud sticks», comme disent les Anglais. La boue colle, qu'il s'agisse d'une médisance ou d'une calomnie.

On en est au point où le premier fabulateur venu peut acquérir, aux yeux du public, plus de crédibilité qu'un gouvernement qui est tout de même largement composé de citoyens respectables, lesquels au surplus sont passés par le test des élections, ce qui montre tout de même qu'ils avaient bonne réputation dans leurs circonscriptions!

Les résultats du sondage Angus Reid, dans La Presse de jeudi, sont proprement stupéfiants: 58% des répondants donnent raison à Marc Bellemare, un homme dont la majorité des Québécois ne connaissent rien du tout, et dont ceux qui ont suivi son cheminement des dernières années considèrent qu'il s'agit d'un électron libre aux motivations assez obscures. Sur la foi d'indices pour le moins fragiles, 59% des gens croient que le premier ministre «a participé à un trafic d'influence» et 61% croient que «les collecteurs de fonds du PLQ imposent des décisions au gouvernement».

En somme, on donne spontanément raison à un quasi-inconnu qui lance des accusations sans preuve, contre un homme qu'on a porté au pouvoir à trois reprises ! Ce procès d'intention pourrait dépasser en ampleur celui dont le gouvernement Bourassa était la cible il y a 35 ans, car les accusations ne viennent plus seulement de l'opposition parlementaire. Elles sont amplifiées et alimentées par le flot continu de potinages anonymes qui courent sur le web.

Mince consolation pour les libéraux, 80% des répondants mettent tous les partis dans le même sac, estimant que de telles «fautes graves pourraient se produire avec n'importe quel parti au pouvoir». Ce cynisme, qui vient d'un réflexe davantage que d'une réflexion, est de bien mauvais augure pour notre démocratie.