«Qu'il s'agisse de grandeur militaire, d'efficacité économique ou de rayonnement culturel, les Français passent volontiers de l'exaltation au défaitisme. Ou bien leur pays est le plus grand, le plus brillant que le monde ait jamais connu, ou alors c'est une mer de boue, un pays irrémédiablement atteint par le déclin, culturellement stérile, vaincu par l'histoire, désormais incapable de produire autre chose que des sacs Vuitton. La France est maniaco-dépressive...»

C'est l'une des fines observations qui parsèment le dernier essai de notre collègue Louis-Bernard Robitaille, Ces impossibles Français (Denoël), qui sort demain en librairie.

 

Correspondant de La Presse à Paris depuis une bonne trentaine d'années, il y décrit, sous ses multiples facettes, ce peuple intelligent, volatile et séduisant qu'il observe avec empathie et une certaine distance critique, une distance qu'il a réussi à maintenir malgré qu'il soit depuis longtemps le plus Parisien des Québécois.

Bien sûr, Robitaille force la note et accentue les particularités, c'est d'ailleurs l'esprit de ce livre spirituel, souvent très drôle. Mais contrairement à tous ces auteurs qui, après des passages plus ou moins brefs à Paris, ont produit d'affligeantes caricatures, Louis-Bernard Robitaille, fort de sa connaissance approfondie du pays, de sa culture politique et littéraire, et de ses propres talents d'écrivain, ne verse pas dans les stéréotypes, sinon à l'occasion, pour s'amuser et nous amuser.

Il a aussi le mérite de comparer la France non pas à l'Amérique, ce qui serait fastidieux et, justement, trop caricatural, mais au reste de l'Europe, qu'il connaît fort bien. Il voit la France, ce pays de paradoxes, dans toute sa complexité: une sorte de «Méditerranée du Nord» où le culte de l'égalitarisme se conjugue au maintien de privilèges impensables dans tout autre pays, où l'on pratique comme nulle part ailleurs l'art de la conversation, où la poignée de main est à la fois un art et une science, et où la pire inconvenance est de parler d'argent à table, ce qui serait «l'une des variantes mineures du crime contre l'humanité». Par contre, «parlez de sexe, avec esprit si possible, et tout le monde vous trouvera fin causeur».

Comment se fait-il que les héritiers de la révolution la plus sanglante d'Europe soient si allergiques au changement? «Les Français, écrit Robitaille, oscillent entre l'autoritarisme et l'anarchie soft sans jamais réussir à s'arrêter à la case consensus. Ce qui leur confère un charme supplémentaire, celui de l'imprévisibilité.» Ce sont des «monarchistes honteux, mais incurables».

Robitaille stigmatise le système judiciaire hexagonal aussi bien que «l'élitisme mandarinal qui règne à France Culture», analyse cliniquement «la mort du roman français», décrit avec humour et justesse l'antagonisme Paris-Province, signale que la République est le seul pays démocratique à célébrer sa fête nationale à la moscovite, par des défilés de chars. Dans un chapitre particulièrement perspicace, il décortique le rapport compliqué que les Français entretiennent avec les États-Unis... pour ensuite passer en revue les personnalités préférées des Français, de Besancenot («rassurante incarnation de Tintin?») à Kouchner et Lang («deux comètes qui se désintègrent lorsqu'elles entrent en contact avec la réalité»), la règle étant que «dans les sondages, les Français privilégient les personnalités qui ne menacent pas de les gouverner».

Le lecteur québécois trouvera dans ce livre à boire et à manger, quels que soient les sentiments qu'il nourrit envers la France, qu'il l'aime ou qu'elle l'irrite, qu'il trouve les Parisiens adorables ou détestables. Car dans la vision qu'en projette Louis-Bernard Robitaille, l'admiration et l'affection transparaissent toujours à travers l'ironie critique.