C'est comme si les libéraux perdaient Westmount! La perte du Massachusetts, le plus grand bastion démocrate - un État qui était depuis plus d'un demi-siècle le fief des Kennedy! - est le désastre inattendu qui vient gâcher le premier anniversaire de la victoire d'Obama, et qui, au surplus, entraînera vraisemblablement la faillite de sa réforme de l'assurance maladie.

On savait bien sûr il y a un an que l'euphorie suivant l'élection emblématique de Barack Obama ne durerait pas. Que le nouveau président serait vite happé par d'énormes problèmes, et que la réalité le rattraperait. Simplement, on ne se doutait pas que la chute appréhendée surviendrait si tôt, et si brutalement.

 

Avec l'élection d'un 41e sénateur républicain, disparaissent à peu près entièrement les chances de la Maison-Blanche de mener à bien la réforme, pourtant si nécessaire, de l'assurance maladie. Dieu sait pourtant qu'Obama y avait travaillé, multipliant les compromis pour rendre son projet plus acceptable à ses puissants adversaires - des politiciens de droite aux compagnies d'assurances, en passant par la multitude d'Américains qui craignaient que l'intervention de l'État ne mène le pays à la faillite ou fasse baisser la qualité des services.

La réforme avait passé le cap de la Chambre des représentants. Restait le Sénat, où l'opposition était plus forte, mais la Maison-Blanche disposait d'une bouée de sauvetage. Une loi datant de 1975 permet à une «majorité qualifiée» de 60 sénateurs de mettre fin aux tentatives de l'opposition d'enterrer une proposition sous un amas de procédures dilatoires (ce qu'on appelle le «filibuster»). Dans les régimes parlementaires britanniques, le gouvernement a les moyens de mettre fin à un filibuster. Pas aux États-Unis.

Dorénavant, les sénateurs démocrates, réduits au nombre de 59, devront se résigner à voir la réforme couler à pic... à moins qu'un républicain ne change son fusil d'épaule, ce qui serait fort étonnant, surtout après l'éclatante victoire du GOP au Massachusetts.

La seule façon d'éviter la faillite du projet, qui était la priorité du nouveau président, serait de précipiter le vote, avant que le 41e sénateur républicain ait eu le temps de se faire assermenter. Mais un pareil coup de force serait vu comme un inacceptable accroc à la démocratie, d'autant plus que le projet de réforme est impopulaire, tant chez les électeurs influencés par les puissants lobbies adverses que chez les partisans d'Obama, qui reprochent à ce dernier d'avoir dilué le projet initial par trop de concessions.

Résultat: pour la deuxième fois en 17 ans, on risque de voir échouer un projet destiné à procurer une couverture médicale aux quelque 40 millions d'Américains qui en sont dépourvus. À ce terrible scandale, l'administration Clinton avait tenté, assez maladroitement, de remédier. Cette fois, Obama avait mis toutes les chances de son côté en utilisant au maximum ses talents de négociateur. Après ce deuxième échec, on doute qu'il puisse y avoir une troisième chance.

Le pire, c'est que cette incroyable défaite aurait pu être évitée. Au début de la campagne, la candidate démocrate, Martha Coakly, partait avec une bonne avance. Mais la présomption est mauvaise conseillère. Sûre de sa victoire, Mme Coakly n'a presque pas fait campagne, demandant avec suffisance à ceux qui s'en étonnaient: «Alors quoi, vous voudriez que j'aille me geler les pieds dans les parcs pour serrer des mains?».

À la fin, devant les sondages alarmants, Barack Obama n'avait pas d'autre choix que de se mouiller lui-même, au risque de mettre sa crédibilité en péril. Ce fut en vain. Même son beau discours n'a pu ramener à lui cet État qu'il avait pourtant remporté, l'an dernier, par une majorité de 26%...