La mort tragique de la journaliste Michelle Lang en Afghanistan m'a d'autant plus touchée que j'aurais pu me trouver à ses côtés dans le blindé qui allait lui servir de tombeau. Au début de décembre en effet (ou était-ce fin novembre?), un fonctionnaire du ministère de la Défense m'avait appelée pour m'offrir de participer à un voyage d'information encadré par l'armée au pays des talibans.

Je présume que le Ministère avait sur sa liste d'appel, comme c'est la coutume, un certain nombre de journalistes de diverses régions du pays (Michelle était d'Alberta, moi du Québec, d'autres viendraient d'autres provinces...). Ces journalistes non spécialisés dans les questions militaires rapporteraient à leurs lecteurs un portrait «humain» du travail des Forces armées en Afghanistan, un portrait inévitablement sympathique, car on ne peut pas côtoyer ces soldats résolus et bien entraînés sans éprouver de l'empathie et du respect pour leur courage. L'objectif en était un, si vous voulez, de propagande, dans la mesure où le gouvernement voulait montrer une image positive de ce qui se fait en Afghanistan.

 

J'ai décliné l'invitation instantanément - pas question de mettre ma vie en danger pour une dizaine d'articles. Mais si j'avais eu 34 ans, comme Michelle, ne me serais-je pas laissé tenter? Et une fois là-bas, n'aurais-je pas voulu quitter l'enceinte protégée de la base militaire pour participer à une mission de quelques heures, histoire de voir un peu la vraie vie du pays, histoire de voir un peu ce qu'y font, concrètement, nos militaires? Histoire aussi de ramener le souvenir d'une sensation forte? Probablement.

Michelle était prudente. Dans un premier temps, elle avait refusé de s'embarquer dans une mission de déminage. La seconde mission qui lui fut proposée était beaucoup plus rassurante. Il s'agissait de visiter un chantier humanitaire, dans une zone que l'on disait très pacifique... Et voilà. Trente-quatre ans, un fiancé amoureux, des parents aimants, un frère adoré, des tas d'amis, une carrière formidable, une belle et longue vie à vivre... tout cela, volatilisé en quelques secondes.

Au même moment, quatre jeunes soldats - encore plus jeunes qu'elle - laissaient aussi leur vie sur cette terre hostile. Le gouvernement aura beau essayer de fournir des images «positives» de l'effort de guerre en Afghanistan, il n'y a plus d'image positive qui sort de ce pays-là. Il y a eu trop de morts, trop de jeunes Canadiens disparus ou restés handicapés pour la vie, et trop peu de résultats.

Ce dernier attentat montre qu'aucune mission n'est sûre, et que même les régions dites pacifiées ne le sont pas. Elles sont toutes infiltrées par des talibans qui bénéficient, soit par la terreur, soit par solidarité ethnique, de la complicité tacite des populations locales. C'est une guerre de guérilla dont ni les troupes de l'OTAN, ni même les renforts de 30 000 hommes envoyés par Obama, ne pourront venir à bout.

L'Irak, après avoir été inutilement dévasté, a été plus ou moins pacifié par l'envoi de troupes supplémentaires - opération dite «the surge», la recette que reprend Obama en Afghanistan. Mais l'Irak était un pays moderne, avec une population instruite et des institutions fonctionnelles. L'Afghanistan est une contrée médiévale. Le mieux qu'on puisse espérer de l'intervention occidentale, c'est le renforcement du gouvernement Karzaï, un gouvernement corrompu jusqu'à la moelle et incapable d'asseoir son autorité sur les tribus qui se partagent le territoire.

Cette guerre amorcée au nom de la lutte contre le terrorisme n'a plus de sens. Les talibans qui protégeaient al-Qaeda se sont déplacés au Pakistan, où ils sèment la mort bien plus qu'en Afghanistan, et al-Qaeda s'est replié sur d'autres sanctuaires, au Yémen par exemple...

lgagnon@lapresse.ca