Le nouveau guide à l'intention des immigrants est dans l'ensemble très bien fait. Le ton a la neutralité qui sied à un document officiel - le paragraphe sur la souveraineté est un modèle d'objectivité - mais curieusement, la mention dont on a le plus parlé (celle qui interdit les pratiques «barbares» contre les femmes) semble avoir été écrite par un autre rédacteur.

«L'ouverture et la générosité du Canada excluent les pratiques culturelles barbares qui tolèrent la violence conjugale, les meurtres d'honneur, la mutilation sexuelle des femmes...»

 

L'idée est excellente, mais pas le texte.

Primo: ce n'est pas parce le Canada est «ouvert et généreux» qu'il interdit l'excision et les crimes d'honneur. C'est parce qu'il souscrit aux grands principes des démocraties libérales et aux droits humains fondamentaux. En faire une question de «générosité», c'est tomber dans le sentimentalisme le plus niais.

Deuzio: le mot «barbare» n'a pas sa place dans un texte officiel qui se veut neutre (et qui doit l'être). Ce mot a trop de connotations historiques et émotionnelles. Il suffirait de dire que le Canada considère ces pratiques «condamnables» ou «totalement inacceptables».

Tertio: pourquoi parler de «mutilation sexuelle», alors qu'il s'agit de mutilation génitale?

Quarto: la violence conjugale est certes répréhensible, mais appartient à une autre catégorie. Ce n'est pas une «pratique culturelle», c'est une tare qui existe dans toutes les cultures - y compris chez les Canadiens de vieille souche.

Cela dit, l'initiative du gouvernement Harper arrive à point nommé. Le Québec devrait l'imiter. Pourquoi, d'ailleurs, se limiter à l'excision et aux meurtres d'honneur? Il serait parfaitement légitime que nos gouvernements avertissent solennellement les nouveaux arrivants que la polygamie est tout aussi condamnable. (Cette affaire est compliquée, car la cause des polygames de Bountiful, en Colombie-Britannique, risque de recevoir l'aval de la Cour suprême au nom de la liberté religieuse. Mais pourquoi ne pas envisager à ce sujet le recours à la clause dérogatoire?)

Le gouvernement pourrait aussi, dans la même veine, interdire à tout citoyen de se masquer le visage (ne pas confondre avec l'inoffensif foulard islamique) sauf pour des raisons médicales. Il ne s'agirait pas de cibler seulement les niqabs et les burqas, mais d'interdire aussi les cagoules. C'est le genre de législation qui serait parfaitement compatible avec un État de droit, au nom de la protection de l'ordre public.

Il y a de très bons aspects dans ce guide: l'insistance sur le fait que les droits s'accompagnent de responsabilités, le rappel de la contribution canadienne aux deux guerres mondiales (autrement plus importante que les casques bleus sur lesquels insistait le précédent guide), le respect manifesté au Québec, dont l'histoire et la spécificité sont bien exposées, le respect dû à l'histoire des trois peuples fondateurs, etc.

Par contre, on se passerait du chapelet d'excuses officielles (pensionnats autochtones, internement des Japonais, discrimination contre les Chinois, etc.), et l'on déplore le parti pris populiste qui a poussé le guide à consacrer autant d'espace à l'odyssée de Terry Fox qu'aux recherches scientifiques.

La nomenclature des artistes (où sont les écrivains?) paraît improvisée; il aurait été plus sage de ne mentionner que ceux qui, parmi les très grands, sont décédés. Enfin, le guide met beaucoup trop l'accent sur la monarchie. Et le comble de l'esprit partisan survient quand on présente une photo de la reine signant la constitution de 1982... amputée du premier ministre Trudeau (libéral!) qui est à ses côtés sur toutes les photos de l'époque. C'est d'une inadmissible grossièreté.