La leçon saute aux yeux: Montréal est une ville trop divisée, politiquement et linguistiquement, pour se donner un maire ouvertement souverainiste ou fédéraliste. Jean Doré était un souverainiste discret (qui parlait l'anglais à la perfection), tout comme Gérald Tremblay est un fédéraliste discret même s'il a fait partie du gouvernement Bourassa.

Louise Harel avait donc raison de pressentir, il y a quelques mois, qu'elle ne pourrait jamais être élue à la mairie pour trois raisons: elle parle à peine anglais, elle a été le maître d'oeuvre des fusions, et elle est trop identifiée au mouvement souverainiste. Même devant des adversaires extrêmement faibles - un maire discrédité et un troisième larron aux emportements franchement inquiétants -, elle n'a pas pu franchir le mur qui sépare l'est de l'ouest.

 

Des gens supposément sérieux, comme Henry Aubin, le chroniqueur municipal de la Gazette, et le philosophe Charles Taylor, ont appuyé Richard Bergeron pour conjurer le spectre d'une victoire de Mme Harel. Ce qui prouve qu'on peut être très intelligent et manquer de jugement, car enfin, cette politicienne d'expérience était beaucoup moins «dangereuse» qu'un fanatique qui croit que le 9-11 était une conspiration, que les autos ne sont pas faites pour les femmes et que les chauffeurs de camion sont des imbéciles, et qui, au surplus, n'a aucun sens du compromis. Mais M. Aubin ne pouvait pardonner les fusions à Mme Harel, et M. Taylor ne pouvait voter pour une indépendantiste.

À l'inverse, on peut être sûr qu'une personne trop identifiée au fédéralisme - un clone de Trudeau par exemple - ne pourrait pas davantage se faire élire à la mairie de Montréal. On peut aussi se demander si un anglophone, même parfaitement bilingue, pourrait devenir maire de Montréal.

Force est de constater que c'est Gérald Tremblay qui a été le candidat le plus rassembleur, le seul capable de maintenir de solides appuis chez les francophones, les anglophones et les communautés culturelles, de même que dans toutes les couches sociales, à Outremont aussi bien que dans le Sud-Ouest. Le prochain maire de Montréal devra sortir du même moule et ne pas s'être associé de trop près aux deux camps qui s'affrontent sur la question nationale.

Il est difficile d'appliquer les résultats d'un scrutin municipal à la politique provinciale, car les électeurs obéissent à des motivations différentes: ainsi, des électeurs péquistes ont pu voter pour Union Montréal ou Projet Montréal pour toutes sortes de raisons.

Il reste que le PQ devrait commencer à s'inquiéter, car Mme Harel aurait dû faire meilleure figure dans les districts francophones. Elle a bonne réputation dans la mouvance péquiste, et même si les ténors péquistes sont sagement restés muets durant la campagne, on peut supposer que les militants du PQ ont poussé à la roue.

Or, pour ce qui est des mairies d'arrondissement, son parti est arrivé en troisième place dans Ahuntsic, en deuxième place dans Montréal-Nord et Outremont, et en première place (mais avec une faible majorité) dans Rosemont. Même dans Pointe-aux-Trembles, Vision Montréal a été facilement battu par le parti du maire. Ce n'est que dans Villeray et Hochelaga-Maisonneuve que le parti de Mme Harel a remporté une victoire décisive.

Une fois de plus, le Plateau Mont-Royal s'est distingué en se donnant un maire de Projet Montréal et en élisant la colistière de Richard Bergeron. Ses habitants auront désormais cette particularité d'avoir à la fois un conseiller de ville et un député qui croient que les attentats de septembre 2001 pourraient relever d'un machiavélique complot de la Maison-Blanche (Amir Khadir a en effet professé publiquement la même opinion là-dessus que M. Bergeron). Comme on dit, c'est... spécial.