Ainsi donc, le NPD et le Bloc auraient «sauvé» le gouvernement Harper? Mais non, ce sont les libéraux qui viennent d'être sauvés!

Le défi d'Ignatieff au gouvernement était bien téméraire, car les libéraux partaient en guerre sur un fort mauvais pied. Par contre, avec plusieurs points d'avance dans les sondages et face au néophyte qu'est Michael Ignatieff, les conservateurs avaient ces temps-ci des chances réelles de former un gouvernement majoritaire.

 

Le gouvernement Harper, ne l'oublions pas, n'est qu'à 12 sièges du seuil requis pour la majorité. Or, le PLC d'Ignatieff baissait dans les sondages à mesure que se précisait la «menace» d'élections, et les premières salves de la précampagne libérale n'étaient pas de nature à susciter l'enthousiasme dans les chaumières: annonces télévisées anémiques (surtout en anglais), chef mal connu, plan d'affirmation internationale redondant, et aucun argument solide pour justifier le renversement du gouvernement...

Le nouveau chef libéral s'était «peinturé dans le coin» et seule l'intervention miracle d'un tiers parti pouvait le sauver. Le NPD, faut-il dire, avait fort peu d'intérêt à aller au front, lui dont la cote, à en juger par les derniers sondages, se rapproche dangereusement du 10%. Le Bloc, pour sa part, est en position solide au Québec. En revanche, la perspective d'un gouvernement conservateur majoritaire avait de quoi lui refroidir le sang, car avec un gouvernement majoritaire en place pour au moins quatre ans, les tiers partis perdraient beaucoup d'influence et de visibilité.

Le compromis avancé par le gouvernement Harper sur l'assurance emploi, de même que son populaire programme d'aide à la rénovation domiciliaire, constituaient de bons prétextes pour permettre aux tiers partis de justifier leur appui au gouvernement. Ce dernier, par ailleurs, n'aurait sûrement pas détesté être renversé, à un moment où les astres lui sont favorables... mais il devra attendre à l'an prochain, car le NPD vient de lui assurer son appui, en pratique, pour le reste de l'automne.

Ce revirement de la position traditionnelle des néo-démocrates, qui s'étaient fait jusqu'ici un point d'honneur de voter contre le gouvernement (et qui se moquaient du PLC pour sa «collusion» avec le gouvernement), va sûrement être très critiqué au sein du parti, mais permet à Jack Layton de sauver sa peau pendant quelques mois encore.

* * *

Pour l'instant, l'opinion publique, au Canada anglais, commence à en avoir assez des gouvernements minoritaires.

L'aventure de la coalition en a fait réfléchir plus d'un, et l'atmosphère constante de chicanes partisanes, inévitable produit des gouvernements minoritaires, a fait le reste. (Il y a eu, à d'autres époques et dans d'autres pays, des gouvernements minoritaires qui fonctionnaient plutôt bien, mais ce n'est pas le cas dans le Canada d'aujourd'hui, où tant les libéraux que le Bloc sont congénitalement incapables de jouer le jeu de bonne foi - les libéraux parce qu'ils se croient destinés par Dieu à former le gouvernement, et le Bloc parce qu'il ne croit pas au Canada.)

Il n'y aura donc pas d'élections cet automne... mais on ne dirait pas, car avec ces gouvernements minoritaires qui se succèdent, nous sommes dans une campagne électorale perpétuelle... Le Parlement nage dans la «politicaillerie», et le gouvernement est incapable de réfléchir et d'agir à long terme, obligé de surveiller ses arrières à chaque tournant. Et tant pis pour les lois nécessaires - celle, par exemple, qui viendrait ramener à la raison notre système d'accueil des demandeurs d'asile - qui ne pourront jamais être adoptées parce qu'elles prêteraient à controverse et que le gouvernement n'a d'yeux et d'oreilles que pour les mesures rentables à court terme. Un gouvernement qui ne fait que survivre, c'est un gouvernement sans vie.