Michael Ignatieff doit avoir l'impression d'avoir été frappé par un TGV. À peine a-t-il proclamé sur le ton sentencieux requis que «le temps de M. Harper est terminé», que les sondages rendent tous le même verdict : la cote des libéraux chute... et celle des conservateurs remonte !

Est-ce parce que les électeurs renâclent devant la futilité de tenir des élections sans enjeu majeur ? Assurément. Parce qu'ils doutent que le nouveau chef libéral, encore très peu connu, soit l'homme de la situation ? Peut-être.

 

Quoi qu'il en soit, jamais n'aura-t-on vu un parti d'opposition renverser un gouvernement à partir d'une position de départ aussi faible. Ce qui montre qu'en politique, si l'on veut jouer les machos et les fanfarons, il faut d'abord en avoir le gabarit.

Malheureusement pour eux, les libéraux se sont acculés au mur et devront foncer dans la tempête en se croisant les doigts, sans pouvoir espérer mieux que de former un gouvernement minoritaire... ce qui en soi serait un tour de force, étant donné que les conservateurs ne sont qu'à 12 sièges de la majorité. La seule bouée de sauvetage des libéraux serait qu'un des deux autres partis accorde sa confiance au gouvernement.

Cela n'arrivera pas. Le Bloc n'a aucune raison de craindre les élections et pourrait même regagner certains des comtés passés aux tories. Le NPD, par contre, serait bien tenté par une alliance ponctuelle avec le gouvernement... mais encore faudrait-il qu'il reçoive quelque chose en échange. Or, M. Harper n'est plus d'humeur aux compromis. Le gouvernement s'apprête même à couper l'herbe sous le pied de ses adversaires en annonçant une réforme de l'assurance emploi, le thème favori des trois partis de l'opposition !

La principale raison pour laquelle M. Harper refusera la main tendue du NPD est que cela contredirait l'un des thèmes majeurs qu'il a déjà préparés pour la campagne, soit le spectre du retour de la fameuse «coalition appuyée par les socialistes et les séparatistes» advenant l'élection d'un gouvernement minoritaire. Comment pourrait-il s'allier, même ponctuellement, avec des adversaires qu'il s'apprête à diaboliser ?

Tous les indices montrent que telle sera la carte maîtresse de M. Harper : donnez-moi une majorité, ou vous risquez de vous retrouver avec la coalition que vous abhorriez l'an dernier !

L'initiative pourra lui faire perdre des voix au Québec, où cette idée était populaire, mais les tories ont plus ou moins fait une croix sur la province. Dans les coulisses du PCC, on envisage déjà la possibilité de perdre quatre ou cinq circonscriptions sur les 10 que les conservateurs ont réussi à rescaper l'an dernier.

Ce dont ils ont surtout besoin, cette fois-ci, c'est de rallier leur base militante et de mobiliser les indécis. Et pour ce faire, ils utiliseront le spectre de la coalition dont la perspective faisait frémir tout le Canada anglais l'an dernier. Un argument qui portera, d'autant plus que la reconstitution d'une coalition constitue un scénario plausible.

Certes, M. Ignatieff y était fort réticent l'an dernier et avait signé de mauvais gré le document scellant l'alliance du trio. Mais advenant un troisième gouvernement conservateur minoritaire, et dans la foulée d'une campagne qui s'annonce féroce, les pressions en ce sens seront fortes, et le chef libéral pourrait bien y céder car sa réserve de l'an dernier s'expliquait en partie par sa crainte qu'une fois « premier ministre « de la coalition, Stéphane Dion s'incruste dans son poste de leader.

Or, de nouveau placée devant une coalition qui revendiquerait le pouvoir, la gouverneure générale pourrait bien se résoudre, cette fois, à accepter qu'elle forme le gouvernement, pour éviter une cinquième élection consécutive.