Inévitablement, on pense à Tiananmen. Ces foules gigantesques qui ont défilé toute la semaine dans les principales villes iraniennes, le courage inouï de ces millions de citoyens désarmés défiant la dictature...

Oui, Tiananmen... mais ce pourrait être encore pire. En Chine, la répression était l'oeuvre d'un gouvernement cynique et corrompu qui ne croyait qu'au pouvoir, tant il est vrai que l'idéal communiste des débuts était depuis longtemps enseveli sous les privilèges dont jouissait la nomenklatura. La répression, en Chine, n'avait aucun relent religieux. Ses exécutants étaient des militaires et des policiers disciplinés, aux ordres d'un État cruel, mais laïc.En Iran, par contre, la soif du pouvoir absolu se double d'un fanatisme religieux de type médiéval. Ahmadinejad est un croyant. Les bassidjis, ces dangereuses milices populaires qui sont le bras fou de la théocratie (ce sont eux qui cette semaine tiraient à volonté sur la foule), sont des croyants - des illettrés sortis des couches les plus démunies. Ils se croient les glorieux héritiers des «martyrs» - ces milliers de jeunes sans formation militaire qu'on envoya aux premières lignes dans la guerre contre l'Irak, préfigurant les cohortes de kamikazes qu'allaient plus tard créer le Hamas et le Hezbollah, deux mouvements largement financés par Téhéran (c'est d'Iran et de Syrie que viennent les armes).

C'est d'ailleurs pourquoi la réélection d'Ahmadinejad est une catastrophe pour tous ceux qui souhaitent un règlement au Proche-Orient. Il continuera de menacer Israël à coup de discours violemment antisémites et de subventionner le terrorisme, qui est l'un des obstacles à la création d'un État palestinien autonome. Et comme le gouvernement israélien est aux mains de faucons, on ne peut exclure totalement la possibilité d'une attaque nucléaire préventive contre l'Iran.

Que se passera-t-il dans l'ancien Empire perse? La conjugaison d'un pouvoir dictatorial qui ne tolère aucune dissidence et de ces hordes d'illuminés à qui Ahmadinejad semble laisser la bride sur le cou annonce le pire.

À la télé en tout cas, le contraste est saisissant. D'un côté le parti du changement, des gens de toutes conditions et de tous âges, femmes et hommes confondus, qui semblent toutefois avoir en commun une certaine scolarité et une relative aisance matérielle. De l'autre, des masses presque entièrement masculines parsemées d'essaims de femmes en tchador, voilées de noir de la tête aux pieds, statues mobiles enterrées vivantes, sombres corbeaux présages de mort...

Allez donc dire à ces opposants qui manifestent au péril de leur vie que «la différence entre Ahmadinejad et Moussavi, en termes de politique réelle, n'est peut-être pas aussi grande qu'on l'a présentée» !

C'est ce que déclarait Barack Obama, dans une réaction qui choque à première vue, mais qui, à la réflexion, est sans doute sage et réaliste.

Comment pouvait-il, lui, le champion des libertés, lâcher à leur sort les Iraniens assoiffés de démocratie? En plus, son affirmation était fausse, car il y a effectivement des différences majeures entre les deux camps, non seulement sur le plan intérieur, mais aussi quant au degré d'ouverture à l'Occident.

Mais c'est vrai, compte tenu de l'histoire calamiteuse des rapports entre les deux pays, il serait «contreproductif» que les réformateurs iraniens paraissent soutenus par les États-Unis. Obama s'est donc contenté de souhaiter que l'«on écoute la voix du peuple et non qu'on la réprime». Il ne pouvait aller plus loin, car il sait qu'il devra négocier, le cas échéant, avec Ahmadinejad. D'où cette manifestation de «realpolitik», à mille lieues de l'idéalisme naïf de Bush. Henry Kissinger applaudirait...

Sur ce, chers lecteurs, je vous quitte en vous souhaitant un bel été. Retour début septembre.