En théorie, le plan Marois est d'une habileté consommée. D'abord parce qu'il tient compte du fait, indéniable, que l'électorat est «autonomiste» plutôt que souverainiste; ensuite parce qu'il permet au PQ de faire patienter son aile dure en laissant flotter la possibilité d'un recours au référendum; enfin parce qu'il porte en germe, à moyen terme, la possibilité d'une crise ouverte entre Québec et Ottawa - crise qui, espèrent les stratèges péquistes, pourrait provoquer une remontée du sentiment indépendantiste, comme cela s'était produit en 1990 lors de la faillite de Meech.

Ce n'est pas sans raison que le très machiavélique Jacques Parizeau a approuvé ce plan. À défaut de pouvoir imposer aux Québécois un référendum sur la souveraineté dont ils ne veulent pas, cette voie détournée est la seule solution, d'autant plus qu'elle recèle moults pièges pour les fédéralistes.

Imaginons qu'un gouvernement péquiste, après avoir (en vain, bien sûr) exigé le transfert constitutionnalisé des pouvoirs sur la culture et les communications, en appelle au peuple par référendum. L'objectif sera populaire, car les francophones sont spontanément portés à souhaiter ce transfert que la classe politique réclame depuis des lustres.

Demandons-nous maintenant qui sera dans le camp du Non. Les libéraux? Certainement pas, puisqu'ils se sont eux-mêmes mis la corde au cou en réclamant la même chose! Jean Charest en a même rajouté une grosse louche en réclamant ce «rapatriement» au beau milieu de la dernière campagne électorale fédérale. À défaut d'une présence forte du PLQ, l'animation de la campagne du Non sera laissée... aux anglophones.

Les artistes entretiendront des réticences en leur for intérieur. Car en fait, le système actuel les avantage grandement, en leur permettant de bénéficier de deux réseaux subventionnaires et en accroissant leur espace de liberté. Qui plus est, le Québec reçoit actuellement quelque 40% des fonds destinés à la culture, alors qu'il ne représente que 26% de la population canadienne. Et qui donc oserait dire que les grandes institutions fédérales comme Radio-Canada, l'ONF ou le Conseil des Arts ont desservi la culture francophone?

N'importe. Les artistes se tairont car aucun ne voudra prendre le risque de se faire étiqueter (voire boycotter) comme un «traître» à la nation. Donc, la question passera comme une lettre à la poste.

Elle aura été claire, et le résultat aussi, avec une majorité qui pourrait dépasser les 70%. Que fait alors Ottawa? S'il respecte l'esprit de la décision de la Cour suprême sur les référendums, il devra négocier... en sachant que d'autres référendums sont à venir (le rapport d'impôt unique, le «rapatriement» des pouvoirs sur la santé, la recherche, etc.), lesquels entraîneraient à terme l'érosion graduelle de la présence fédérale au Québec. Michael Ignatieff serait le premier à s'opposer, lui qui tient à ce que le Canada soit autre chose qu'un appareil sans âme servant à contrôler les douanes et la défense nationale.

Mais ce faisant, Ottawa défierait la volonté démocratiquement exprimée des Québécois. D'où la possibilité de la crise ouverte qui fait saliver les stratèges souverainistes... lesquels profiteraient de la colère populaire pour proposer la souveraineté pleine et entière.

Cela n'est qu'un scénario parmi d'autres. Mais c'est un scénario possible.

Il se pourrait par contre que la population, sachant que ce plan de «référendums sectoriels» a pour but de fomenter une crise dont ils ne veulent pas, fasse savoir (par les sondages) qu'elle refuse tout référendum, même s'il portait sur une matière d'allure inoffensive. C'est le problème des scénarios machiavéliens: on finit toujours par voir au travers. Les observateurs aguerris n'avaient pas besoin que M. Parizeau vienne éventer la stratégie du PQ, elle était évidente.