Spectacle courant dans toute grande ville chinoise: disséminés parmi une foule d'adultes, des enfants rares et trop gros... Il serait exagéré de parler d'obésité précoce, mais beaucoup, parmi ces enfants issus d'un peuple généralement svelte et délicat, sont grassouillets à 6 ans et seront gras à 40 ans. Cette mutation quasi génétique est l'une des conséquences de la politique de l'enfant unique imposée aux Chinois par Deng Xiaoping.

Les bouleversements que cet édit a causés dans un pays qui raffolait de ses enfants sont en effet incalculables. Désormais, il y aurait un seul enfant pour deux parents, pour quatre grands-parents et pour huit arrière-grands-parents. Rien d'étonnant à ce que cet enfant précieux soit gâté... et gavé au-delà du raisonnable, tant il est vrai que l'amour, surtout dans les pays qui ont connu de terribles famines, s'exprime souvent par le don de nourriture.

 

L'embonpoint, conséquence physique des gâteries dont tous ces adultes en mal d'enfant comblent l'enfant unique, est très visible. Mais qu'en est-il au niveau moral et émotionnel? Le coefficient d'égoïsme et d'égocentrisme a dû monter en flèche, on s'en doute. Effectivement, alors que traditionnellement, les enfants chinois étaient disciplinés et tenus de bien réussir à l'école, on voit de plus en plus des enfants-rois qui font leurs quatre volontés sous le regard adorateur de leurs parents. Comme chez nous, direz-vous. Oui, mais pour la Chine, c'est une rupture radicale avec la tradition.

Ces enfants uniques grandissent sans soeur ni frère, et n'auront jamais de neveux. La famille élargie sur laquelle reposait la société chinoise a été littéralement atomisée.

La politique de l'enfant unique avait évidemment pour but de limiter l'accroissement démographique. Elle a empêché, calcule-t-on, de 300 à 400 millions de naissances, et engendré d'effroyables souffrances: avortements forcés pour les femmes enceintes d'un second enfant, abandon des filles au profit du fils convoité... Rien d'étonnant à ce que presque tous les enfants adoptés en Chine aient été des petites filles rejetées par des parents qui espéraient qu'un enfant mâle leur succéderait. Tant qu'à n'avoir qu'un enfant, il fallait que ce soit un garçon.

C'était un choix économiquement rationnel, d'ailleurs. Faute d'un système de sécurité sociale, c'est au fils qu'il revient de faire vivre ses parents vieillissants, alors que la fille, une fois mariée, se retrouve au service de sa belle-famille. Aujourd'hui, dans une ville prospère comme Shanghai, on voit beaucoup de parents se promener fièrement avec leur petite fille bien pomponnée et manifestement adorée, mais dans les campagnes et dans les classes démunies, le fils reste l'assurance-vieillesse de ses parents. Les abandons de filles sont plus rares aujourd'hui... mais c'est en partie parce qu'on dispose maintenant de la technologie permettant de connaître le sexe du foetus.

La politique de l'enfant unique a peut-être aidé la Chine à relever le niveau de vie moyen, mais au prix de nombre d'effets pervers. Selon le British Medical Journal, le pays compte un excédent de 32 millions de garçons de moins de 20 ans. En 2005, il naissait 120 garçons pour 100 filles. Beaucoup d'hommes ne pourront trouver de femme. Ceux qui peuvent se le permettre vont «s'acheter» une femme au Vietnam...

Autre nuage noir à l'horizon, la société chinoise est en train de vieillir à un rythme exponentiel. Comme le signalait récemment Marcus Gee, le chroniqueur international du Globe and Mail, d'ici à 2030, le nombre de Chinois de plus de 65 ans va doubler..., et ce, dans un pays où il n'existe pas de système de retraite généralisé et dont la prospérité repose sur une main-d'oeuvre jeune et active!

La Chine est la plus grande puissance émergente, c'est vrai, mais elle a aussi bien des problèmes devant elle.