D'où vient le désintérêt des Montréalais pour leur administration municipale? La question est importante, car cette indifférence est à la racine des maux de la métropole. Pourquoi les gens tentés par la politique, tournant le dos à Montréal, préfèrent-ils aller sur la scène provinciale et, à l'occasion, au fédéral?

Si l'on comparait, sur une longue période, la qualité du personnel politique à l'Assemblée nationale et dans l'administration municipale, on verrait sans doute que la scène provinciale attire davantage de politiciens de premier ordre. Pourquoi? Ce n'est certainement pas une question d'argent.

 

Bien que Montréal soit la plus pauvre des villes canadiennes, c'est là que les édiles sont le mieux rémunérés. Le salaire de base du conseiller lambda (qui n'a pas d'autres responsabilités) est de 49 000$, auquel il faut ajouter une allocation non imposable de 15 000$... et ce, pour une fonction qui ne devrait pas constituer un travail à plein temps. C'est plus que ce que gagne la moyenne des profs de cégep pour une année académique complète!

La politique municipale serait-elle moins intéressante que dans les autres paliers de gouvernement? Certes, les questions d'intendance - déneigement, collecte de déchets, etc. - n'ont rien pour enthousiasmer ceux qui rêvent de légiférer sur l'éducation, l'immigration ou la défense nationale. Mais n'est-il pas également gratifiant de s'occuper des problèmes concrets de sa propre ville, d'autant plus qu'à ce niveau, on peut voir le résultat tangible de son travail?

Si la politique municipale était inintéressante, cela se verrait à Toronto ou dans d'autres villes nord-américaines. Or, ce n'est pas le cas. La politique torontoise a attiré des personnalités dynamiques (c'est là, par exemple, que Jack Layton a fait ses classes), et un homme comme le multimilliardaire Michael Bloomberg, qui avait le choix des carrières, a préféré devenir maire de New York plutôt que gouverneur de l'État ou membre du Congrès.

Sans doute faut-il retourner dans l'histoire pour comprendre le désintérêt des Montréalais francophones pour l'avenir de leur ville. Montréal a longtemps été une ville «anglaise», car si elle a été fondée par des Français, ce sont les descendants d'immigrés écossais qui l'ont tissée. Il s'y trouvait bien sûr des francophones, mais les banques, les grands commerces, les centres de décision étaient anglophones. N'est-ce pas Londres qu'évoquent les manoirs de brique rouge du Golden Square Mile?

Même après que les francophones eurent pris le contrôle du Québec, la tradition s'est poursuivie, très bien illustrée d'ailleurs par l'attitude des médias. Les francophones, dans la foulée de la Révolution tranquille, n'avaient d'yeux que pour Québec ou Ottawa. Pour les anglophones, la politique municipale était le seul pouvoir politique qui leur restait. Qui «couvrait» en profondeur et assidûment la politique municipale? La CBC, CTV, The Gazette...

Les journalistes francophones, eux, se concentraient sur les questions nationales, avec en fond de scène un climat de méfiance envers la métropole cosmopolite, longtemps représentée dans l'imaginaire collectif comme une menace à la survie des Canadiens français. Ce n'est qu'assez récemment qu'un journal comme La Presse a décidé de consacrer énormément d'efforts à la couverture régulière de l'actualité municipale. Et l'on voit aujourd'hui le résultat positif de cette activité de «chien de garde» de la démocratie.

Autre différence, les anglophones ont une longue tradition de bénévolat et de service à la communauté, alors que les francophones, étant directement passés de l'aile protectrice de l'Église à celle de l'État, ont tendance à se fier aux structures. Or, la politique municipale, parce qu'elle est un service de proximité, repose en partie sur la participation bénévole des citoyens. Voilà qui explique en partie pourquoi les villes de la banlieue anglophone ont généralement été mieux gérées que Montréal.