Faut-il souhaiter l'arrivée d'un visionnaire à l'hôtel de ville de Montréal? Non, surtout pas. Quand on connaît un peu l'histoire du XXe siècle (et que l'on se souvient du règne mégalo-maniaque de Jean Drapeau), on a plutôt tendance à se méfier des visionnaires.

La dernière chose dont Montréal a besoin, c'est d'un maire qui serait l'homme d'une seule idée - autant dire d'une idée fixe, du genre à croire que le salut de la ville passe par un gros événement médiatique - Jeux olympiques, mégafestival ou chef-d'oeuvre architectural. Ce genre de chose n'est pas à négliger, mais c'est accessoire.

 

Laissons à Québec son maire Labeaume, son langage d'impresario et ses coups de pub. Montréal a vu passer tous les gros shows qu'on peut imaginer, tant mieux si la ville de Québec a pu se pâmer d'admiration pour un Paul McCartney en quête d'une ultime injection d'adrénaline et tant mieux si Québec, une très jolie ville sans gros problèmes, connaît ces temps-ci son heure de gloire.

Ce dont Montréal a besoin, c'est d'un retour à une saine gestion, une gérance raisonnable, sous le signe de l'efficacité et de l'intégrité. Le sondage Ipsos Reid publié lundi dans La Presse le confirme, d'ailleurs: la priorité des Montréalais, c'est l'entretien des infrastructures.

Paris peut s'offrir le luxe de tenir un grand concours d'architecture de pointe, parce que la ville, déjà forte de sa somptueuse beauté, est très bien entretenue et qu'elle fonctionne à merveille. À Montréal, la base reste à faire: il faut des rues correctement asphaltées, des déchets ramassés à temps, la fin des travaux sauvages et non coordonnés qui défigurent les quartiers et empoisonnent la vie des gens, des stationnements accessibles et des transports publics efficaces, notamment un bon service d'autobus, une signalisation routière intelligente, des ponts et des viaducs sécuritaires, des conduites d'eau qui ne crèvent pas, des loisirs publics ouverts aux heures qui font l'affaire des usagers, des stratégies pour combler les trous qui donnent à Montréal l'allure d'une ville bombardée...

Les stations Bixi sont très esthétiques (bravo aux concepteurs), mais le vélo, dans une ville où il neige cinq mois par année, n'est qu'une aimable fantaisie, une minuscule cerise sur le sundae. Le sundae, c'est l'infrastructure, et cela rejoint la question de l'intégrité des gestionnaires municipaux. Qui dit que le piètre état de nos rues (et des routes du Québec, car c'est partout pareil) n'est pas directement causé par les magouilles, les cartels et la corruption? Il n'est tout de même pas normal que la voirie, au Québec, soit d'aussi mauvaise qualité alors qu'elle est convenable au Vermont et en Ontario, où l'on a le même climat et autant d'achalandage!

Cessons de rêver. Oui, il faudrait un beau Quartier des spectacles, comme le réclame avec raison Gilbert Rozon, mais cela n'améliorera pas la vie quotidienne des Montréalais, et ne sera pas non plus la baguette magique qui attirera ici des millions de touristes. On parle souvent de Bilbao, qui revit grâce à l'impulsion donnée par le musée de Gehry. Mais qui prend l'avion seulement pour aller voir ce musée? On y va parce que tout près, il y a l'arrière-pays basque, San Sebastian, l'Espagne... On passe une journée à Bilbao puis on va ailleurs. Qu'est-ce qu'il y a de comparable, à proximité de Montréal? Repentigny? Saint-Hyacinthe?

Chose certaine, le premier article à l'agenda d'une mairie revigorée devrait être d'éliminer les arrondissements, résultat du double gâchis des gouvernements péquiste et libéral dans le dossier des fusions-défusions. C'est à Québec d'agir, mais compte tenu de l'indolence chronique du gouvernement Charest, rien ne se fera si les élus montréalais ne poussent pas à la roue.