Les libéraux de Michael Ignatieff flottent ces temps-ci sur un petit nuage rose: de toutes parts, les sondages annoncent que leur formation est en nette remontée; la caisse du parti, qui était à sec sous le règne de Stéphane Dion, a commencé à se remplir; il y a une petite excitation autour du nouveau chef, qui est certainement une personnalité plus intéressante que la moyenne de la classe politique.

En Ontario, le PLC mène par une dizaine de points, mais c'est du Québec qu'est venu, récemment, la divine surprise: selon CROP, les libéraux devancent le Bloc québécois de six points (37 à 31), les conservateurs traînant de la patte avec un maigre 15% d'appuis. Et le niveau d'insatisfaction envers le gouvernement Harper a grimpé jusqu'à 61%, un taux inhabituellement élevé si peu de temps après une élection.

 

À partir de ces chiffres, L. Ian MacDonald de la Gazette estime que si des élections avaient eu lieu la semaine dernière, les libéraux auraient remporté 40 circonscriptions québécoises, le Bloc, seulement 30, et que le PC serait réduit à la portion congrue, avec cinq circonscriptions concentrées dans la région de Québec...

Mais si les libéraux enlèvent leurs lunettes roses, ils verront qu'il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.

Primo, un sondage Ipsos-Reid indique que si la cote du PLC est en hausse, Stephen Harper reste, dans l'ensemble du pays, un leader plus crédible que le chef libéral, par 43% contre 33%. Il est vrai que M. Ignatieff est très peu connu du grand public. Gagnera-t-il, ou perdra-t-il à être mieux connu?

Deuzio, même si M. Ignatieff se démène pour combler le fossé gigantesque qui sépare son parti de l'électorat de l'Ouest (jusqu'à se faire, avec quelques nuances, le champion de l'exploitation des sables bitumineux d'Alberta), le PLC reste un corps étranger dans la moitié ouest du pays.

Tertio, la partie est loin d'être gagnée pour les libéraux au Québec. L'expérience des dernières années montre que le Bloc, en définitive, réussit toujours à sauver sa mise. L'effet «nouveauté» qui joue actuellement en faveur de Michael Ignatieff pourrait s'émousser lorsque les nationalistes québécois constateront que le chef libéral est bien plus centralisateur que le laissait croire son appui rhétorique au concept de «nation», et ils reviendront en masse dans la serre chaude familière du Bloc. Or, la seule vraie victoire libérale au Québec serait non pas de supplanter les Tories comme premier parti fédéraliste, mais de devancer le Bloc - à tout le moins de lui tenir tête en lui faisant perdre un certain nombre de comtés.

Malgré ces inconnues, le PLC brûle de déclencher des élections. Mais il souffre, en quelque sorte, de son succès dans les sondages. Il faut être deux pour danser le tango, mais à la Chambre des communes, il faut être trois pour avoir des élections ou, plus précisément, pour renverser le gouvernement. Or, ni le NPD ni le Bloc n'y ont intérêt. Et plus l'étoile du PLC montera, moins ils y auront intérêt.

Le NPD voit ses appuis s'effriter au profit des libéraux. Des élections risqueraient de lui faire perdre un certain nombre de sièges. Le Bloc québécois, bien assis sur le quasi-monopole qu'il exerce sur le Québec, est en meilleure posture, mais il est plus vulnérable, face au PLC revigoré par l'arrivée de Michael Ignatieff, qu'il ne l'était face à Stéphane Dion.

Tout ce qu'il reste à faire au gouvernement Harper pour s'assurer la neutralité bienveillante des deux tiers partis, c'est de leur céder sur quelques points secondaires, histoire de permettre à leurs chefs de justifier leur appui au gouvernement.