Montréal abrite depuis 11 ans l'un des plus importants festivals littéraires internationaux au monde: le Metropolis bleu. Hélas, à voir l'auditoire qui s'y presse, on ne croirait pas qu'il se déroule dans une ville à majorité francophone.

Il s'y trouve, bien sûr, nombre d'écrivains canadiens-français - ceux qui sont là comme conférenciers ou participants. Mais où sont ces milliers d'amateurs de livres et d'intellectuels qui fréquentent les librairies et se précipitent chaque automne au Salon du livre? Vous n'en trouverez guère, dans la foule plutôt anglophone et multiculturelle qui assiste bon an mal an à ce festival... et si vous y croisez des gens qui parlent français dans les couloirs, il y a bien des chances que ce soient des Libanais ou des Juifs sépharades, des anglophones bilingues comme il y en a des masses à Montréal, ou des francophiles de divers horizons.

 

Cette absence qui crève les yeux n'est sûrement pas la faute de la direction du festival, qui a tout fait pour attirer les francophones d'ici - jusqu'à déménager, il y a quelques années, dans un hôtel de la Place Dupuis et à se donner une raison sociale française. L'âme dirigeante du festival, Linda Leith, parle bien français. On ne compte plus les grands auteurs français et franco-québécois qui se sont succédé aux tribunes du Metropolis bleu. La moitié des activités (ateliers, tables rondes, lectures publiques, entrevues face à face, etc.) se déroulent exclusivement en français, et l'on avait même la chance, cette année, d'entendre de grands écrivains anglophones (A.S. Byatt, une grande dame de la littérature britannique, et l'Américain Daniel Mendelsohn, dont Les Disparus a fait un tabac en France et ici) s'exprimer pendant 75 minutes en français! Ceux qui ont lu ces auteurs en traduction se seraient régalés.

Le Festival s'est pourtant associé à nombre d'institutions francophones, dont Radio-Canada et La Presse, la librairie Olivieri, le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des arts de Montréal. La Ville fait flotter ses bannières dans les rues durant les cinq jours du festival. Son grand prix annuel a souvent été octroyé à des francophones (Marie-Claire Blais, Maryse Condé, Michel Tremblay, Daniel Pennac). Rien n'y fait. Samedi, il y avait foule dans les multiples activités qui se déroulaient à l'hôtel Delta, mais il fallait chercher les francophones de vieille souche, si peu nombreux qu'ils en étaient inaudibles.

Dommage, car ils passent à côté d'une très belle fête du livre, beaucoup plus substantielle que la foire qu'est le Salon du livre. Où peut-on entendre un auteur s'expliquer sur son oeuvre pendant 75 minutes d'affilée? Où peut-on voir rassemblés autant de grands noms de divers pays, du pamphlétaire pakistanais Tariq Ali à l'historienne Margaret MacMillan en passant par Laure Adler ou Jean-Claude Germain? Où voit-on se côtoyer des écrivains d'Israël et du monde arabe? Où peut-on entendre des écrivains, des éditeurs, des traducteurs, expliquer en détail leur travail et leurs techniques?

Dès sa naissance, le Metropolis bleu s'était heurté à des tentatives de boycottage de l'Union des écrivains du Québec, alors présidée par la bouillante Denise Boucher. L'UNEQ voyait d'un mauvais oeil ce nouveau festival qui menaçait le sien et risquait de lui faire concurrence dans la recherche de subventions. On en avait également contre le caractère bilingue de Metropolis, une organisation issue du milieu anglo-mont-réalais, et où il se trouve certainement plus de fédéralistes que de souverainistes. Mais il serait étonnant que cette ancienne querelle influence encore les simples amateurs de livres, d'autant plus que le festival est apolitique, et qu'un souverainiste ouvert sur le monde s'y sentirait parfaitement à l'aise.