Un prof du secondaire relate les propos d'un groupe d'élèves: «Si on décroche, vous inquiétez pas, on va revenir dans une couple d'années! On aura une prime du BS, et on sera payé pour venir à l'école! Pourquoi on irait à l'école sans être payé?».

J'ai rarement entendu plus triste aveu. Le décrochage, un choix de carrière...

Le Québec a le record du décrochage scolaire au Canada. Près d'un jeune sur trois décroche avant la fin du secondaire. Dans certaines régions, la proportion peut atteindre 40%!

 

Ce sont les garçons, toujours plus rétifs que les filles devant le travail scolaire, qui sont les plus touchés. Les garçons, qui ne pourront plus s'accrocher à des emplois de cols bleus non qualifiés de moins en moins nombreux. Les garçons, ces laissés-pour-compte d'une société qui n'en a que pour les filles, alors qu'elles forment plus de la moitié de la clientèle des universités...

Alors, oui, évidemment, on applaudit des deux mains à l'initiative du gouvernement Charest, qui consacrera 50 millions (dont la moitié provient de la Fondation Chagnon) à lutter contre le décrochage scolaire. Un bon point: on visera les parents; c'est en effet primordial. Un autre bon point: on agira au niveau régional, pour se rapprocher des clientèles problématiques.

Espérons qu'on n'oubliera pas, en chemin, de cibler la campagne d'information sur les garçons et qu'on ne répétera pas l'erreur des premières campagnes sur le sida, qui, sous prétexte de n'offenser personne, visaient tout le monde indistinctement sans s'attarder à la clientèle le plus à risque.

Il y a autre chose à faire. Il faudra braver la rectitude politique, et prendre tous les moyens pour «masculiniser» les écoles primaires et secondaires, pour y amener des enseignants capables de motiver les garçons tentés par le décrochage, capables de leur faire lire des livres «de gars» et d'accepter les comportements «de gars», des enseignants qui n'essaieraient pas de leur inculquer de force des valeurs féminines, et qui sauraient au besoin remplacer les pères manquants, tant il est vrai que la monoparentalité est l'un des facteurs du décrochage, le facteur primordial étant le niveau de scolarité des parents et l'importance qu'ils accordent à l'éducation.

Je parlais l'autre jour avec un professeur qui enseigne le français aux immigrants. Les Chinois, dit-il, sont parmi ceux qui apprennent le plus vite. Pourtant, leur langue est à mille lieues de la nôtre. Mais voilà, ils viennent d'une culture où l'éducation est extraordinairement valorisée, et où les familles encouragent le travail d'apprentissage.

Même en Occident, la plupart des sociétés ont des taux de décrochage beaucoup moins élevés qu'au Québec. Aux États-Unis, par exemple, c'est d'abord un phénomène de ghetto, contrairement au Québec, où la calamité touche aussi la classe moyenne.

Le correspondant du Devoir à Paris, Christian Rioux, écrivait récemment que sa fille de 14 ans, qui est en troisième secondaire dans un quartier populaire, ne sait même pas ce que veut dire le mot «décrochage», parce que personne n'en parle. En Europe, l'abandon scolaire reste un phénomène marginal, et les parents ont tôt fait de réagir dès que leur enfant fait mine de ne plus vouloir aller à l'école. Au Québec, au contraire, le décrochage fait maintenant partie des moeurs. Est-ce l'ancien préjugé contre l'instruction qui se perpétuerait d'une génération à l'autre? Dans quelle autre société, en effet, aurait-on fait un héros de Jacques Demers, un analphabète qui n'avait jamais jugé important d'apprendre à lire et dont l'exemple pervers montrait qu'on peut s'enrichir sans s'instruire?

Il faut réagir. Vite.