Le feu qui flambait en Guadeloupe s'est étendu en Martinique, et les tisons ont franchi les mers jusqu'en Guyane française et à l'île de la Réunion, dans l'océan Indien. Les quatre départements d'outre-mer français, à la fois fierté et épine au pied de la France, sont enflammés sur fond de crise de vie chère.

Les Québécois n'y sont pas indifférents, eux qui naguère aimaient passer des vacances dans les deux capiteuses îles des Antilles françaises... jusqu'à ce que la hausse du franc, puis l'apparition de l'euro, de même que les difficultés du transport aérien, les fassent fuir vers Cuba ou la République dominicaine. Dommage, quand même. Cette France exotique avait tout pour plaire: on y parle français, la nourriture est délicieuse, et le touriste échappe à la vue de la misère... car, quoi qu'on dise, ces îles sont des îlots de prospérité et de liberté dans la région des Caraïbes.

 

Le feu a d'abord été allumé en Guadeloupe, traditionnellement plus rebelle que la Martinique. C'est là que le mouvement indépendantiste, quoique toujours très minoritaire, a été le plus fort, et c'est de ce bouillon de culture propice à l'agitation politique qu'a émergé Elie Domota, le leader radical de la lutte actuelle, qui regroupe sous l'aile du LKP (Lyannaj Kont Pwofitasyon, le collectif d'organisations syndicales, associatives, politiques & culturelles de Guadeloupe) des syndicats et des organisations militantes reliées à l'extrême gauche.

Le collectif a réussi à mobiliser la population qui souffre de la crise économique, quitte à forcer, à coup de pratiques «musclées», - barrages, intimidation, violence physique - les magasins à fermer, et les travailleurs réfractaires à la grève à rallier les piquets. Les affrontements, innombrables, ont été marqués par la mort d'un militant, et à plusieurs reprises par des tirs à balles réelles sur les policiers. Les «Blancs», qu'ils soient «békés» ou venus de la métropole, avaient intérêt à se faire discrets. Car ce sont eux que visait le slogan des grévistes: «La Guadeloupe est à nous, pas à vous!»

En principe, le LKP lutte contre la précarité économique, et contre ce qu'il appelle la «pwofitasyone», soit l'exploitation résultant de la concentration historique (et encore terriblement visible) du pouvoir entre les mains de la classe privilégiée des «békés», les descendants des colons français. Cela donne à la contestation, soutenue par un discours anticolonialiste, un aspect racial explosif.

Pendant sept semaines, Paris a dansé sur ce volcan avec précaution, sachant que toute concession faite aux départements d'outre-mer servira de base de négociation aux syndicats de la métropole. Le président Sarkozy a même fait intervenir deux médiateurs pour épauler Yves Jégo, le ministre de l'outre-mer qui s'est vite trouvé dépassé par les événements. (M. Sarkozy a ensuite appliqué la formule de la médiation à d'autres dossiers litigieux - un précédent dangereux, qui érode la crédibilité et l'autorité des ministres, mais c'est un autre problème.)

Finalement, l'État a acheté la paix, au coût de près de 1 milliard d'euros. Le LKP a déjà obtenu des gels et des baisses de prix fortement subventionnés, ce qui accroît la dépendance d'une île où 40% des adultes sont fonctionnaires et où 15% vivent du salaire minimum... ce qui rend le gain principal du LKP - le relèvement des plus bas salaires de 200 euros par mois - assez dérisoire, puisque peu en profiteront.

Le gâchis est énorme: 1500 petites entreprises fermées ou en faillite, 17 000 emplois perdus (pour une population de moins d'un demi-million d'habitants), un taux de chômage qui pourrait passer de 23,5 % à 33,5%, toute une récolte de bananes pourrie, l'industrie touristique à terre...

À jeudi pour la suite.