Le rideau est enfin tombé sur le grand opéra comique qui menaçait de transformer le Canada en république de bananes, et il se pourrait bien - qui sait - que la raison prévale.

On vient de voir se dérouler un scénario invraisemblable, pourquoi pas cet autre scénario invraisemblable? Imaginez: le gouvernement Harper présente, le 27 janvier, un budget intelligent destiné à stimuler l'économie et en prévision duquel il a abondamment consulté l'opposition, les provinces, les groupes sociaux et les intervenants économiques. Les conjurés d'hier, privés de raisons de faire tomber le gouvernement, reprennent leur place sur les banquettes de l'opposition, et tout rentre dans l'ordre.

 

Trop beau pour être vrai? On verra bien. C'est en tout cas ce que souhaite la majorité des Canadiens: preuve que le sentiment démocratique est très fort dans ce pays, un sondage d'Ipsos Reid montre qu'une majorité de 56% serait prête à subir de nouvelles élections plutôt que de se faire imposer une coalition en faveur de laquelle personne n'a jamais voté.

Pied de nez additionnel à la troïka, le même sondage, de même qu'un autre coup de sonde mené par le Strategic Counsel, montre que s'il y avait des élections aujourd'hui, les conservateurs obtiendraient la majorité, avec respectivement 45% et 46% des voix, la principale raison étant que la population considère le PC plus apte à affronter la crise économique.

Au Québec, et à un moindre degré dans les Maritimes, le sentiment prédominant est favorable à la coalition, mais cela n'empêche pas que ce fort appui de l'opinion publique pancanadienne au gouvernement forcera l'opposition à y réfléchir à deux fois avant de voter contre le prochain budget.

Stephen Harper a une chance - la dernière, assurément - de s'amender. Les partis de l'opposition, voyant leur échapper le pouvoir qu'ils convoitaient si goulûment, seront de mauvaise humeur, mais pour eux, c'est un mal pour un bien, car déjà, trois jours à peine après sa création, leur coalition avait déjà commencé à s'effriter.

Le panel de «sages» censés conseiller le «gouvernement» PLC-NPD s'était désintégré, avec le départ précipité de John Manley et Frank McKenna; il ne restait sur les rangs que Paul Martin, qui a connu le succès que l'on sait comme premier ministre, et Roy Romanow, le vétéran néo-démocrate au passé controversé.

Chez les libéraux, bien avant la prorogation, le malaise avait succédé à l'excitation.

Les partisans de Michael Ignatieff (le meneur dans la course au leadership) ne voulaient pas de cette coalition qui portait le germe de sa propre destruction. Les libéraux, qui souhaitaient se débarrasser de Stéphane Dion depuis des mois et encore plus intensément depuis qu'il les avait menés au pire résultat électoral de leur histoire, commençaient à redouter le pire - le pire étant six mois de gestion chaotique qui aurait compromis leurs chances de reprendre le pouvoir. Imagine-t-on la situation dans laquelle se serait retrouvé, en mai 2009, le nouveau leader du PLC?

Stéphane Dion devra peut-être céder sa place à un leader intérimaire avant la réouverture du Parlement. Les couteaux sont sortis, pendant que la course au leadership prend le devant de la scène et que Bob Rae tente désespérément de redonner de l'élan à sa campagne en s'accrochant au radeau chaviré de la coalition... étrange tactique, qui ne fera que rappeler aux libéraux le passage désastreux de M. Rae à la tête d'un gouvernement néo-démocrate ontarien.

À long terme, le Bloc n'aurait pas non plus trouvé son avantage dans cet arrangement, car il serait advenu un moment, inévitable, où la coalition aurait dû prendre une décision qui ne faisait pas l'affaire du Québec... mais il aurait eu les mains liées par sa signature au bas d'une entente officielle.

Seuls les néo-démocrates n'avaient rien à perdre, eux pour qui ce petit coup d'État représentait leur unique chance de prendre le pouvoir.

Oh, j'oubliais, il y avait aussi Elizabeth May qui s'agitait et réclamait... un siège au Sénat, sous prétexte qu'elle avait reçu, disait-elle, un million de votes! (Mme May, qui décidément ne doute de rien, s'attribuait les 940 747 votes que les candidats verts ont reçus dans tout le pays; dans sa circonscription de Central Nova, elle est arrivée en deuxième place avec 12 620 votes).

Oui, il était vraiment temps que le rideau tombe.