L'autre jour, à la radio, Pauline Marois disait «à matin» (plutôt que «ce matin»). Lors de son entrevue a La Presse, elle disait «je suis de même» (plutôt que «je suis comme ça»). Si elle a utilisé ces expressions spontanément, c'est bien la preuve qu'elle n'est pas la «bourgeoise» que d'aucuns se plaisent à décrier. Ou s'efforcerait-elle de «faire peuple» pour se conformer aux avis des stratèges de son parti qui trouvent qu'elle a un problème d'image?

Il s'agit d'après moi bien plus d'un problème de société que d'un problème d'image. L'espèce de procès personnel qu'on lui fait ces temps-ci relève d'un sexisme navrant.

 

Cela ne date pas d'hier, du reste. Combien de fois la rumeur publique ne lui a-t-elle pas reproché ses beaux tailleurs? Comme si les politiciens masculins s'habillaient chez Wal-Mart! Comme si les journalistes qui s'acharnaient sur ces détails n'avaient pas eux aussi les moyens d'aller chez Holt Renfrew ou Ogilvy!

Mme Marois, bonne fille, s'est soumise à la rumeur et s'habille maintenant de la façon la plus neutre possible, comme si elle voulait être invisible. Mais la rumeur rampe toujours. Mme Marois serait une «grande bourgeoise», et une «snob» par-dessus le marché...

Pauline Marois, une grande bourgeoise? Il faut vraiment ne rien connaître à la bourgeoisie pour dire cela. Mme Marois, qui vient d'un milieu modeste, est l'archétype de la travailleuse sociale. D'ailleurs, si elle était une «grande bourgeoise» elle ne serait pas en politique.

De nos jours, les grands bourgeois ne vont pas en politique parce qu'ils ne veulent pas être obligés de passer leurs journées à parler avec des gens qui ne les intéressent pas et à se faire harceler par n'importe quel quidam. Les seuls grands bourgeois de la scène politique, ces dernières décennies, ont été Pierre Elliott Trudeau et Jacques Parizeau, des hommes d'une autre génération qui s'y étaient engagés pour faire avancer des idées. (Ironiquement, le seul chef de parti actuel qui vient de la bourgeoisie est Françoise David! L'âme de Québec solidaire, fille d'un cardiologue devenu sénateur, a été élevée dans une grande maison de pierres au flanc du mont Royal.)

Mais au fait, à supposer que Mme Marois eût été effectivement une grande bourgeoise, en quoi cela la disqualifierait-elle? Faut-il, comme le disait drôlement un ami, «avoir ses lettres de noblesse dans le prolétariat» pour participer à la vie politique québécoise?

Oui, Mme Marois a de l'argent, parce que son mari s'est enrichi dans l'immobilier. Mais ne confondons pas argent et bourgeoisie. Le Québec est rempli de plombiers et de vendeurs d'auto qui ont fait fortune, mais qui ne sont pas des bourgeois. Si les Marois-Blanchet étaient de vrais bourgeois, ils ne se seraient pas fait construire un «château» de parvenu à l'Île-Bizard. Mais c'est un choix légitime, qui ne regarde qu'eux.

Hélas! la maladie infantile du Québec est le mépris de l'argent (une denrée que par ailleurs on envie férocement en son for intérieur). C'est un vieux réflexe catholique que l'on retrouve aussi en France... et pas aux États-Unis, où personne n'a reproché au couple Obama son revenu familial de plus d'un million de dollars par année. C'est ce réflexe suicidaire qui a été le moteur émotionnel de l'opposition au projet du CHUM-Outremont. Un projet appuyé par des riches (les Desmarais, les Coutu) ne pouvait pas être un bon projet!

Snob, Pauline Marois? L'accusation est délirante pour qui a déjà croisé Mme Marois, une personne affable et simple, et qui visiblement aime les gens. De toute façon, il n'y a pas de «snobs» dans le petit monde de la politique québécoise. Je n'en ai jamais croisé aucun, sauf peut-être Pierre Elliott Trudeau, et encore, ce que l'on interprétait comme du snobisme tenait plutôt à sa froideur et à sa timidité naturelles.

Cela dit, il y a quelque chose qui cloche sérieusement au PQ. Comment se fait-il qu'un plan de campagne critiquant durement la chef ait pu circuler ainsi? Et être ensuite divulgué à La Presse? Cela a tout l'air d'une tentative de sabotage.