On croyait rêver en entendant Stéphane Dion déclarer qu'il compte rester à la tête du Parti libéral jusqu'à la désignation de son successeur, au congrès de mai prochain. Compte tenu de l'ampleur de la défaite, on s'attendait à ce que M. Dion remette à un leader intérimaire la direction du parti. C'eût été une décision digne et sensée. Hélas! ce à quoi l'on a assisté hier est une sortie ratée. M. Dion part mais il reste...

Le chef libéral est en plein déni. Il se refuse à admettre qu'il est largement responsable de la débandade de son parti. Il s'obstine à croire que son Tournant vert était la trouvaille du siècle, et que si les électeurs avaient connu le «vrai» Dion, plutôt que l'image travestie qu'en donnaient les pubs télévisées conservatrices, ils l'auraient apprécié à sa juste valeur. Mais, dit-il, le PLC n'avait pas les moyens de répliquer à la propagande conservatrice, faute d'argent...

On croit entendre l'écho de la fameuse sortie de Jacques Parizeau, qui attribuait la défaite référendaire à «l'argent et aux votes ethniques», sauf que dans ce cas-ci, la faute tiendrait à «l'argent» et à la propagande des conservateurs... Comme si de telles attaques n'étaient pas à prévoir, en politique! M. Dion lui-même n'a pas ménagé les épithètes et les procès d'intention à l'endroit de M. Harper.

L'homme est amer, ce qui se comprend. Il est aussi plus entêté que jamais, et plus que jamais enfermé dans sa bulle, insensible aux avis des autres. Je doute que nombreux soient les libéraux qui lui ont conseillé de rester en poste jusqu'au congrès. Au contraire, la transition était déjà tacitement prévue; deux anciens ministres, MM. McCallum et Goodale, étaient pressentis pour le poste de chef intérimaire, à l'instar de Bill Graham après la démission de Paul Martin.

Légalement, le chef libéral a parfaitement le droit de s'accrocher au leadership jusqu'à l'élection de son successeur ou même jusqu'à ce qu'au prochain congrès, les délégués lui renouvellent (ou non) leur confiance. Mais il aura fort à faire pour convaincre le caucus et les instances libérales du bien-fondé de sa décision. Il pourrait même se retrouver, d'ici quelques semaines, en collision frontale avec ses députés et les clans déjà en lice pour la course au leadership.

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Cette course, qui s'annonce féroce, devrait en effet être présidée par un politicien aussi neutre que possible, ce qui n'est pas du tout le cas de M. Dion, qui est encore à couteaux tirés avec ses anciens rivaux de 2006 et dont l'entourage, au surplus, comprend quelques partisans de Bob Rae... ce qui n'a rien pour rassurer le clan Ignatieff.

Un chef brisé et isolé comme M. Dion a trop de ressentiment accumulé et trop de comptes à régler (à l'interne aussi bien qu'à l'externe) pour présider de façon sereine à l'opération déchirante que constitue toute course au leadership. C'est un secret de polichinelle que les Rae et les Ignatieff, les deux meneurs de la course au leadership de 2006, n'attendaient que sa défaite pour repartir en campagne. Si M. Dion croit, à tort ou à raison, qu'il a été victime des manoeuvres de couloir de ses anciens rivaux, il sera bien mal placé pour jouer un rôle d'arbitre.

M. Dion veut profiter de l'intérim pour récolter de l'argent pour le parti - histoire, dit-il, de s'assurer que son successeur ne sera pas aussi «vulnérable» qu'il l'a été. Ce projet ne manque pas de piquant, venant d'un homme qui a été incapable de rembourser les dettes de sa propre campagne au leadership. Comment diable ce chef défait et pratiquement hors jeu pourrait-il recueillir les fonds qu'il n'a pu obtenir pendant les deux années où il a dirigé l'opposition?

Il y a plus. Pendant les sept prochains mois, l'image du PLC continuera d'être associée à un homme qui a fait la preuve de son impopularité, associée également à ce Tournant vert que M. Dion n'a manifestement pas l'intention d'abandonner... Au contraire, il paraît résolu à continuer à le promouvoir. Cela, inévitablement, l'amènera à entrer en conflit avec les candidats au leadership qui ne partagent pas sa vision.

On voit d'ici le plaisir qu'aura Stephen Harper à exploiter en Chambre toutes ces dissensions.