Jack Layton pourrait être le seul à se trouver, le 14 octobre, en meilleure position qu'il l'était avant la campagne.

M. Harper, en bonne partie à cause de son plan sur les jeunes criminels, risque de perdre aux mains du Bloc le gouvernement majoritaire que le Québec aurait pu lui donner. M. Duceppe, s'il réussit à conserver ses acquis, pourra toujours crier victoire pour la galerie, mais ce sera une victoire vide de sens qui n'aboutira qu'à la constitution, pour la 15e année consécutive, d'un groupe parlementaire impuissant et braillard, promis à l'opposition perpétuelle. Quant à M. Dion, ce sera la descente aux enfers.

Le maximum que le NPD puisse espérer serait de déloger les libéraux de l'opposition officielle - ce qui serait une gigantesque avancée. Il reste que le NPD semble en train de se départir de ses habits étriqués de tiers parti voué à la marginalité; c'est déjà un très gros pas en avant.

 

Le NPD partage avec les conservateurs le monopole sur la Colombie-Britannique, où le Parti libéral va perdre le peu qu'il lui restait. Il performera bien, aussi, dans les Prairies. Et en Ontario, bien des libéraux découragés pourraient glisser de son côté. Au Québec, l'opération charme a bien marché; elle ne se traduira pas par une augmentation des sièges, mais il y aura un petit capital pour la prochaine fois.

En Ontario, le NPD doit lutter contre le très mauvais souvenir qu'a laissé le règne néo-démocrate de Bob Rae mais c'est une fatalité qui hante aussi le PLC, puisque M. Rae est passé chez les libéraux.

À l'ouest, la donne est très différente, parce que le NPD a déjà formé des gouvernements relativement compétents en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et au Manitoba. Dans les Prairies en particulier, les administrations néo-démocrates se sont gagné la réputation de bien gérer les finances publiques. (N'oublions pas que le CCF, l'ancêtre du NPD, est né des coopératives agricoles; or, s'il y a quelque chose que les fermiers détestent, ce sont les dettes et les déficits!). D'ailleurs, Jack Layton ne s'en cache pas: il entend réformer son parti à l'image du NPD manitobain de Gary Doer. Un parti terre à terre et modéré, bref un parti de gouvernement.

Cela ne se fera pas en criant ciseau. Le NPD fédéral, parce qu'il n'a jamais eu l'expérience du pouvoir, s'est souvent distingué par ses projets fumeux, il a toujours attiré des militants fantasques et radicaux, comme sa députée Irene Mathyssen qui a accusé un collègue conservateur de consommer de la porno alors qu'il regardait, sur son portable, une photo de sa propre femme en maillot de bain.

Encore il y a deux ans, les délégués au congrès du NPD, à Québec, rêvaient de nationaliser les industries primaires et d'exclure le Canada de NORAD, de l'ALENA et de l'OMC. Même aujourd'hui, le NPD a souvent le nez dans les nuages, comme lorsqu'il réclame un moratoire complet sur l'exploitation des sables bitumineux, le retrait instantané de l'Afghanistan, ou l'interdiction pour les réseaux de télévision de diffuser des émissions non-canadiennes aux heures de grande écoute. Et le NPD reste handicapé par ses liens organiques avec les syndicats du Canada anglais, dont il dépend pour son financement et son organisation.

Pourtant, il y a des changements: M. Layton a mis la pédale douce sur la rhétorique antiaméricaine, et au lieu de ne parler que des damnés de la terre, il s'est donné comme priorité la défense des «familles qui travaillent». Et ce parti qui a toujours voulu flamber l'argent des autres fait aujourd'hui moins de promesses coûteuses que les libéraux. Sa plus coûteuse (un système de garderies modelé sur le Québec) n'a rien d'extravagant.

En somme, et c'est là une grande loi de la politique, plus le NPD visera le pouvoir, serait-ce par étapes, plus il abandonnera ses oripeaux de formation marginale et radicale pour devenir un parti de centre gauche.

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BURN AFTER... Marre de la campagne? De la crise bancaire américaine? Des simagrées de John McCain? C'est samedi, faites-vous plaisir, allez voir Burn After Reading, le dernier-né des géniaux frères Coen. J'ai ri aux larmes du début à la fin de cette satire cynique et savoureuse servie par de très grands acteurs. (Mais de grâce, n'allez pas voir une version doublée!)