Il fallait que Bombardier clarifie sa situation pour espérer sortir de l'incroyable crise dans laquelle elle s'est elle-même plongée, mercredi dernier, lorsqu'elle a annoncé une hausse de 48 % de la rémunération de ses six hauts dirigeants. Bien expliquer que les bonis promis à ses hauts dirigeants seront versés seulement si l'entreprise renoue avec la rentabilité.

C'est ce qu'Alain Bellemare, PDG de Bombardier, a tenté de faire, hier soir, en précisant que le paiement de 50% de la rémunération des six hauts dirigeants de l'entreprise annoncée pour 2016 - ce qui a soulevé le tollé que l'on connaît - allait être reporté à 2020 et que cette bonification allait être versée seulement si Bombardier atteint ses objectifs de performance, dont celui du retour à la rentabilité.

Déjà samedi, dans La Presse+, le président du comité de vérification de Bombardier, Jean Monty, nous avait expliqué que l'attribution des bonis à la performance des hauts dirigeants était conditionnelle à l'atteinte d'objectifs bien précis au cours des trois prochaines années.

Hier, Alain Bellemare est allé plus loin et a repoussé d'une année à 2020 le paiement de ces bonis lorsque Bombardier aurait pleinement renoué avec la rentabilité, lorsqu'elle réalisera un chiffre d'affaires de 25 milliards US et, enfin, lorsqu'elle aura recommencé à rembourser sa dette.

C'est d'ailleurs ce que je proposais la semaine dernière à Bombardier : décaler dans le temps l'attribution de primes à la direction, lorsque l'entreprise se sera remise à faire des profits.

Chez Bombardier, on espère évidemment que ces précisions permettront d'apaiser le climat de crise extrême qui prévaut depuis mercredi dernier et qui, hier, se rapprochait dangereusement de l'hystérie.

Débrancher le pilote automatique

Il a fallu que Bombardier débranche le pilote automatique de la gouvernance corporative pour adapter sa conduite à une situation de hautes turbulences générée par l'apport massif de fonds publics qui ont permis le sauvetage de l'entreprise.

Il faut bien le rappeler, Bombardier n'a pas choisi la voie facile en acceptant un apport important de fonds publics qui ont été canalisés dans son programme de développement de la C Series et, par l'entremise de la Caisse de dépôt et placement, dans sa division Transport.

L'injection de ces 3,5 milliards US d'argent public et quasi public a permis à Bombardier de traverser la grave crise de liquidités qui risquait de la conduire tout droit à la faillite.

Si l'entreprise avait obtenu ces fonds par l'entremise des canaux habituels - fonds d'investissement, banques d'affaires, prêts bancaires -, la haute direction aurait été tout à fait en droit de profiter de la bonification de rémunération qui avait été promise.

La haute direction aurait, de fait, atteint les objectifs cruciaux de stabiliser ses flux de trésorerie et de sécuriser son programme de développement de la C Series.

Mais en ayant eu recours à des fonds publics pour émerger de la crise qui menaçait son existence même, Bombardier s'est exposée à devenir vulnérable dans l'oeil de l'opinion publique, à un point qu'elle n'avait probablement jamais imaginé.

Beaucoup de Québécois ont eu la nette impression que la somme de 1,3 milliard que Québec a injectée dans la C Series a servi à payer des bonis aux hauts dirigeants de Bombardier qu'ils n'auraient pas été en mesure d'obtenir autrement.

Cette perception bien légitime des contribuables québécois, qui a généré la grogne que l'on sait, a également été nourrie par le manque de clarté de Bombardier dans ses communications.

On n'a pas bien expliqué que la hausse de 48 % de la rémunération des six hauts dirigeants était en grande partie attribuable au fait que cinq de ces dirigeants avaient assumé leur nouvelle fonction en cours d'année en 2015.

La hausse de 2016 s'explique par le fait que leur salaire de 2015 n'était déjà pas à la hauteur de celui de leur emploi actuel.

Pierre Beaudoin, président exécutif du conseil d'administration de Bombardier, a pour sa part renoncé à la bonification de sa rémunération pour l'exercice 2016 et s'en est tenu à réaliser le même salaire qu'en 2015.

La direction de Bombardier en a pour quelques années encore à évoluer dans un mode de propriété semi-étatique et devra rester vigilante pour ne pas attiser les braises de l'opprobre public. Déjà qu'elle en a plein les bras avec ses simples actionnaires qui ne sont pas tous enchantés de la tournure des événements...