C'était il y a trois ans. Après avoir acheté un homard et été intrigué par le code à barres qui était imprimé sur l'élastique bleu entourant les pinces du crustacé, Henri-Paul Rousseau, ex-PDG de la Caisse de dépôt, a scanné le code avec son téléphone pour apprendre instantanément le lieu et la date où la prise avait été réalisée et le nom du pêcheur responsable de sa récolte.

Emballé par sa découverte, Henri-Paul Rousseau a poursuivi ses recherches pour finalement contacter Alain Lemieux, propriétaire et PDG de la firme Epsilia de Trois-Rivières, spécialisée dans le domaine de la numérisation de la traçabilité des produits et des opérations des entreprises.

C'est que la curiosité d'Henri-Paul Rousseau n'était pas innocente. Le vice-président du conseil de Power Corporation est aussi propriétaire depuis des années d'une entreprise acéricole, La Coulée franche, qui est responsable d'une production biologique réalisée à partir de la cabane à sucre qu'il possède et exploite à Dunham, dans les Cantons-de-l'Est.

« Je m'intéressais à la traçabilité parce que c'est une exigence pour la certification de la production biologique de sirop d'érable, mais aussi parce que je suis fasciné par la sécurité alimentaire, c'est devenu, et avec raison, un critère exigé de plus en plus par les consommateurs, ça force la transparence », m'a expliqué, hier, Henri-Paul Rousseau.

Il y a deux ans, le financier Rousseau a mandaté Alain Lemieux et sa firme Epsilia pour mettre au point un logiciel de traçabilité pour le secteur acéricole.

Ils ont fondé une coentreprise et développé TrAcéricole, un outil qui assure un meilleur contrôle de la qualité et de la sécurité alimentaires, et ce, tant au bénéfice des producteurs que des consommateurs.

Henri-Paul Rousseau a tellement aimé Epsilia qu'il a décidé d'investir dans l'entreprise de haute technologie de Trois-Rivières en s'associant avec Bernard Dorval, ex-haut dirigeant de la Banque Laurentienne et PDG de la Banque TD pour le Québec.

Les deux hommes ont annoncé en conférence de presse, hier, qu'ils devenaient actionnaires minoritaires dans Epsilia. Pour Alain Lemieux, PDG et principal actionnaire de l'entreprise, l'arrivée de ces deux investisseurs va permettre à son entreprise d'augmenter considérablement la vitesse de son développement sur le marché nord-américain.

UN CHOIX RÉFLÉCHI

Alain Lemieux a développé son entreprise dans les années 80 en réalisant des logiciels de gestion de campagnes de fonds et de recension des biens immobiliers pour les communautés religieuses. Il a créé pour ces communautés plus de 1700 sites de banques de données au Canada.

Avec la montée des certifications de qualité dans le secteur alimentaire, il s'est lancé dans les années 2000 dans les systèmes de traçabilité, notamment dans la production porcine où il a développé des logiciels pour assurer le suivi des bêtes de leur naissance à la ferme jusqu'aux étalages des magasins.

Aujourd'hui, Epsilia compte plus de 500 clients, principalement dans les secteurs agroalimentaire et manufacturier. L'entreprise compte 35 employés, dont cinq nouveaux spécialistes qui se sont joints à l'équipe au cours de la dernière année alors qu'une dizaine de nouveaux postes seront créés dans les 12 prochains mois.

« On a reçu des offres de fonds d'investissement qui voulaient nous acheter ou d'autres qui souhaitaient investir dans Epsilia, mais j'ai préféré accueillir des investisseurs qui sont patients et qui se sont engagés à nous suivre et à réinvestir dans notre développement qu'on veut accélérer. » - Alain Lemieux

« On voulait réaliser une transaction à l'échelle humaine, on ne voulait pas quelque chose d'institutionnel. J'ai appris à connaître Henri-Paul Rousseau et c'est pourquoi je lui ai offert à lui à son ami et partenaire Bernard Dorval d'investir avec nous », précise Alain Lemieux.

Epsilia dégage des marges nettes de 20 à 25 % et réinvestit ses profits dans le développement de technologies. Le plan stratégique de l'entreprise prévoit réaliser des acquisitions, percer le marché des États-Unis et attaquer de nouveaux secteurs d'activités.

« On veut implanter la traçabilité dans le secteur minier. La traçabilité ou la numérisation de la production ce n'est pas seulement bénéfique pour les consommateurs, ce l'est aussi pour les entreprises, ça leur permet de mieux contrôler leur production, leurs inventaires et leurs ventes », souligne Alain Lemieux.

Durant les nombreuses discussions qu'il a eues avec Henri-Paul Rousseau, Alain Lemieux dit avoir beaucoup apprécié l'insistance avec laquelle le financier rappelait qu'il est temps de sortir Epsilia de Trois-Rivières. C'est exactement ce qu'il souhaite faire en restant toutefois bien enraciné dans son édifice du centre-ville de la métropole de la Mauricie.

Photo François Gervais, Le Nouvelliste

Bernard Dorval, Henri-Paul Rousseau et Alain Lemieux