Quatre personnalités du monde des affaires donnent leur point de vue sur la situation de la relève entrepreneuriale au Québec.

STÉPHANE GONTHIER

Pour l'ex-dirigeant de Couche-Tard et de Dollarama, le phénomène des propriétaires de PME qui franchissent l'âge vénérable des 70 ans et qui gardent le contrôle de leur entreprise n'est pas unique au Québec.

Installé en Californie depuis qu'il s'est joint au groupe 99 Cents Only Stores, en 2013, Stéphane Gonthier cherche depuis deux ans à acquérir une entreprise, tant aux États-Unis qu'au Québec. Il fait face aux mêmes problèmes dans les deux marchés.

« Je cherche une entreprise dans le secteur de la logistique, du détail, du manufacturier. Aux États-Unis, les multiples sont plus élevés, mais les propriétaires ne veulent pas vendre. Ils attendent toujours une meilleure offre et profitent de leur train de vie.

« Au Québec, une entreprise qui réalise 2 millions de profits avant impôts et amortissement va valoir 8 millions. Une fois que le PDG rembourse ses dettes, il lui reste 6 millions qui vont lui rapporter 5 ou 7 %. C'est beaucoup moins que ce qu'il peut se payer en dividendes », observe le gestionnaire.

ROBERT DUTTON

L'ex-PDG de Rona, qui est aujourd'hui professeur associé à l'École des dirigeants de HEC Montréal, a un peu baissé les bras face à son projet d'acquérir une entreprise. Il a cogné à bien des portes, mais il n'a pas encore trouvé une PME qu'il pourrait diriger et faire grandir.

« C'est un sérieux problème parce que nos entreprises vieillissent. Moi, j'aimerais m'associer avec des jeunes, ce serait mon défi. Mais beaucoup de jeunes entrepreneurs sont séduits par l'idée de faire des deals. Tu lances une application et là, tu te fais acheter », observe Robert Dutton.

« On ne semble plus vouloir construire des entreprises qui vont durer dans le temps. On veut faire des passes. » - Robert Dutton, ex-PDG de Rona

Il a été surpris, en octobre dernier, lorsque l'École des dirigeants a tenu une journée de formation pour les entrepreneurs un samedi. Il n'en est venu aucun, alors que pas moins de 12 acheteurs se sont présentés à l'activité cette journée-là. Preuve qu'il y a un débalancement certain.

MARIE-CLAUDE BOISVERT

Marie-Claude Boisvert côtoie quotidiennement des propriétaires de PME. C'est son métier de les appuyer financièrement dans leur projet et de prendre même des participations importantes dans leur capital.

Elle constate sur le terrain que plusieurs PDG vivent une situation problématique avec la relève. Pour plusieurs, ce n'est pas une option que de céder un jour leur entreprise, et il faut dire que l'espérance de vie d'aujourd'hui joue en leur faveur.

« Il y a plusieurs propriétaires de PME qui ont 75 ans et qui sont en pleine forme avec toute leur tête, alors pourquoi ils vendraient ? C'est leur vie.

« Et plusieurs me disent que lorsqu'ils regardent leur usine, ils savent où est leur argent. C'est bien plus clair pour eux que d'avoir des fonds investis par leur banque où ils n'ont pas le contrôle. C'est une situation particulière », admet-elle.

LOUIS VACHON

Même s'il constate qu'il n'y a pas beaucoup de PME de taille importante sur le marché, Louis Vachon rappelle que la Banque Nationale a tout de même participé au financement du rachat de plus de 500 entreprises au cours de la dernière année.

« Depuis cinq ans, on a une équipe qui s'occupe exclusivement du financement de transfert d'entreprises. Et on en fait, des transactions. » - Louis Vachon, PDG de la Banque Nationale

Le PDG de la Banque Nationale constate que le transfert d'entreprises aux membres d'une même famille serait facilité si les règles fiscales étaient moins pénalisantes.

Les ventes récentes des chaînes Rona et St-Hubert ne marquent pas, selon lui, le début d'un mouvement irréversible qui va entraîner d'autres entreprises à être achetées par des investisseurs de l'extérieur du Québec.

« Il ne faut pas crier au loup. Mais c'est certain que c'est souvent plus avantageux de vendre à un tiers que de transférer son entreprise à ses enfants. Il faudrait améliorer le code fiscal du Québec », soumet le PDG.