Le Groupe St-Hubert aurait pu rester propriété québécoise. Deux groupes montréalais faisaient partie des trois sociétés finalistes retenues dans le processus de sélection mis en place par le grand patron de St-Hubert, Jean-Pierre Léger, qui a jugé la proposition du groupe ontarien Cara comme étant la plus apte à assurer la pérennité de l'entreprise fondée par ses parents.

Décidément, le Québec a le fleuron lousse par les temps qui courent. Le jour même où Rona passe officiellement sous contrôle américain, le Groupe St-Hubert, une autre entreprise emblématique de l'économie québécoise, annonce qu'il passe aux mains du groupe ontarien Cara.

Depuis les 20 ans que la firme Léger tient son Palmarès annuel des entreprises les plus admirées du Québec, les restaurants St-Hubert ont obtenu 20 fois la première place dans la catégorie restauration.

Toutes catégories confondues, St-Hubert se classe au 17e rang des entreprises les plus admirées du Québec alors que Rona occupe le 20e rang. L'an prochain, ces deux sociétés typiquement québécoises se rapporteront à des propriétaires de l'extérieur du Québec.

Pourtant, selon nos informations, deux entreprises québécoises faisaient partie, avec l'ontarienne Cara, des trois groupes finalistes du processus de sélection de Groupe St-Hubert.

Un groupe financier qui n'avait aucune expertise dans le secteur de la restauration et un investisseur stratégique, le Groupe MTY de Montréal, qui exploite un immense réseau de 2700 établissements sous 30 enseignes différentes et qui réalise au-delà de 1 milliard de revenus annuels.

Jean-Pierre Léger m'a confirmé jeudi qu'il avait rencontré les dirigeants des deux groupes en question et que leur offre financière était sensiblement du même ordre que celle de 537 millions du groupe Cara.

Il a même qualifié d'intéressante l'offre de MTY, mais il estime que le regroupement des deux entreprises aurait généré moins de synergies dans les usines de transformation alimentaire du groupe de restauration.

Il faut savoir que les usines de St-Hubert de Boisbriand et de Blainville ne font pas que fabriquer les produits St-Hubert que l'on retrouve en épicerie. Leurs principaux clients sont les 120 rôtisseries St-Hubert pour qui elles préparent tous les produits consommables, de la salade de chou, aux soupes, aux sauces...

Au cours des cinq dernières années, Jean-Pierre Léger a rencontré à plusieurs occasions Prem Watsa, le PDG de Fairfax Financial, qui est le propriétaire de Cara, et ce dernier lui a maintes fois démontré son intérêt d'acquérir St-Hubert, une transaction qui permettrait à l'entreprise ontarienne de percer enfin au Québec, où elle exploite quelques restaurants Harveys.

« Mais, surtout, cette transaction va permettre d'augmenter de façon importante les activités de nos usines. Cara veut importer notre modèle d'affaires et faire fabriquer ses produits de restauration chez nous et aussi des produits pour les chaînes d'épicerie. On va pouvoir rapidement hausser de 100 millions nos revenus d'usines », anticipe le PDG.

Jean-Pierre Léger n'entrevoyait pas une telle synergie en s'associant avec MTY. Une telle association n'allait pas générer une activité industrielle aussi importante que celle de Cara, selon lui. « Je veux assurer la pérennité et le développement des emplois », insiste-t-il.

Ce qui est tout de même dommage. Le groupe MTY a réussi en l'espace de 20 ans à consolider de façon marquante le marché de la restauration rapide canadien en achetant des franchises ou en développant des nouveaux concepts.

Récemment, le groupe a bonifié son offre en acquérant les restaurants Madison. L'acquisition de St-Hubert aurait grandement renforcé sa base d'opérations et aurait permis de diversifier ses activités dans le secteur de la transformation pour faire de MTY un géant québécois, comparable à Cara.

Même si l'offre financière était comparable à celle de Cara, Jean-Pierre Léger évoque les atomes crochus qu'il a développés avec la direction du groupe ontarien pour justifier son choix.

Chose certaine, ce n'était un secret pour personne que le propriétaire du Groupe St-Hubert cherchait depuis quelques années un acquéreur pour son entreprise tout en s'assurant que ce dernier allait poursuivre et développer les activités du groupe de restauration qui emploie 10 000 personnes au Québec.

Pourtant, il y a une dizaine d'années, Jean-Pierre Léger m'avait présenté sa fille Amélie, diplômée des HEC, qui devait être celle qui allait lui succéder à la tête de l'entreprise familiale.

Le propriétaire a changé d'idée en estimant que St-Hubert était une entreprise trop complexe à exploiter et qu'il préférait la vendre à une entreprise aguerrie, ce qu'il a malheureusement été incapable de développer à l'interne alors que la durée de vie des multiples PDG qu'il a embauchés était d'ordinaire extrêmement courte.