Avec son important investissement de 2 milliards dans Bombardier Transport, la Caisse de dépôt a obtenu un droit de regard capital sur la gouvernance de la nouvelle société dont elle ne contrôlera pourtant que 30 % des actions. En fait, la Caisse vient de réaliser avec Bombardier Transport ce qu'elle n'a jamais réussi à faire avec la maison mère Bombardier inc.

On sait que la Caisse et Bombardier inc. cultivaient depuis un bon moment déjà un contentieux sur la surreprésentation que les actions à vote multiple de la famille Bombardier-Beaudoin lui confèrent dans le contrôle de l'entreprise.

Avec 13 % du capital-actions en circulation, la famille Bombardier-Beaudoin contrôle 52,4 % des droits de vote de l'entreprise, en vertu du pouvoir de ses actions à vote multiple qui lui assurent six votes chacune.

Cette surreprésentation constituerait un frein certain à l'éventualité que la Caisse injecte du nouveau capital dans l'entreprise. Malgré les besoins financiers criants de Bombardier, embourbée dans les coûts de lancement de nouveaux programmes de sa division aéronautique, la Caisse tenait à une meilleure diversité du contrôle et de la gouvernance de Bombardier inc.

C'est pourquoi l'équipe de Christian Dubé, premier vice-président, Québec de la Caisse de dépôt, a travaillé d'arrache-pied au cours des trois derniers mois pour ficeler une transaction qui permettrait à l'institution québécoise d'épauler financièrement la principale entreprise manufacturière de la province tout en obtenant les garanties financières qui allaient sécuriser son placement.

En investissant 1,5 milliard US dans la division Bombardier Transport (BT), la Caisse a résolu aussi ses problèmes de conscience puisque son poids de 30 % dans le capital-actions de la nouvelle société sera pleinement reflété dans la composition du conseil d'administration et dans la gouvernance de l'entreprise.

La Caisse obtient trois des sept postes d'administrateur de la nouvelle société. Elle aura aussi droit de vie ou de mort sur : 

 - le budget consolidé et le plan stratégique annuels de BT ;

 - le contrat et la rémunération du chef de la direction ;

 - la nomination du président du conseil (advenant le départ d'Alain Bellemare) ;

 - toutes les opérations financières de BT, du financement aux régimes incitatifs à base d'actions, d'options, de dividendes, l'émission de titres d'emprunt ou d'actions ou toute transaction affectant la nature de la propriété de l'entreprise.

La Caisse a acquis ces droits importants de gouvernance sur la division Transport de Bombardier mais elle a obtenu, de surcroît, un droit de regard sur la nomination de tout nouvel administrateur indépendant de la société mère, Bombardier inc.

« C'est le président du conseil de Bombardier, Pierre Beaudoin, et le PDG Alain Bellemare qui ont consenti ce droit de regard », explique Christian Dubé.

« On n'était pas en désaccord avec Bombardier. Pierre Beaudoin voulait justement apporter des modifications à son conseil d'administration et il était d'accord pour qu'on soit consulté », précise M. Dubé.

Le responsable des investissements de la Caisse au Québec ajoute que les droits de gouvernance obtenus par la Caisse sont sensiblement les mêmes que ceux qu'elle négocie lorsqu'elle réalise des participations avec des entreprises privées, telles que Camso, anciennement Camoplast Solideal.

N'empêche, Christian Dubé confesse que son équipe a négocié très serré pour réaliser cette nouvelle participation. En d'autres mots, la Caisse vient de réaliser une transaction qu'elle a attachée avec des bretelles et une ceinture et qui lui permettra d'avoir à l'oeil l'avenir de la maison mère Bombardier inc., dont elle est le deuxième actionnaire en importance avec quelque 50 millions d'actions (3 %).

GÉRER L'OMNIPRÉSENCE

Cette dernière transaction met par ailleurs en lumière les difficultés nouvelles que la Caisse devra affronter dans la gestion quotidienne de ses différents portefeuilles.

Il faut rappeler que la nouvelle division CDPQ Infrastructures réalise actuellement des études de faisabilité en vue de l'implantation d'un système léger sur rail sur le nouveau pont Champlain. La Caisse est aussi le promoteur d'un lien ferroviaire entre le centre-ville et l'ouest de Montréal.

Est-ce que la Caisse va favoriser le constructeur Bombardier Transport, qui lui appartient à 30 %, comme fournisseur de ses nouveaux besoins en infrastructures ?

Christian Dubé se fait tranchant. Jamais la Caisse ne va risquer d'entacher sa réputation en favorisant une solution plus coûteuse même si elle peut en tirer profit.

« On a plusieurs partenaires financiers internationaux et on va vivre avec la règle de l'appel d'offres et du plus bas soumissionnaire. On est aussi actionnaire de SNC-Lavalin et de WSP, des firmes qui peuvent être des concurrentes », évoque Christian Dubé.

N'empêche, la Caisse, qui était jadis timide à l'idée d'investir au Québec, est devenue aujourd'hui un joueur de plus en plus omniprésent et elle devra faire la preuve qu'elle peut gérer cette situation et faire en sorte que l'omniprésence ne se transforme pas en omnipotence.