J'étais sur la route entre Sept-Îles et Québec lorsque j'ai appris que le gouvernement Couillard était sur le point d'annoncer un investissement de 1 milliard US en vue de donner un peu d'oxygène à Bombardier Aéronautique dans ses efforts de commercialisation de sa nouvelle famille d'avions, une éventualité qui relevait plus de la fatalité que de la surprise.

Ce sont mes patrons qui m'ont gentiment contacté pour me demander si je pouvais faire confirmer ce nouveau développement dans l'interminable saga de la C Series. J'ai rapidement, mais très diplomatiquement décliné cette requête pour une grande variété de raisons.

La première, c'est que j'en avais plein les bras. Il était 20h30 et ma voiture était immobilisée, tout juste contre un terre-plein, après avoir été interceptée par des patrouilleurs de la SQ qui m'avaient vu réaliser un virage en U à un feu de circulation qui interdisait pareille manoeuvre.

Totalement imprégné de l'ordre, gentiment formulé par les forces constabulaires, de produire mon certificat d'immatriculation, ma preuve d'assurance et mon permis de conduire, j'ai spontanément fait remarquer à mon patron que l'intervention financière de Québec dans le programme de la C Series était un événement préparé de longue date et qu'il ne s'agirait donc pas d'une annonce surprise.

N'empêche, depuis le dévoilement officiel, jeudi dernier, de la création de la société en commandite «C Series inc.», dans laquelle le gouvernement injecte 1 milliard US contre une participation de 49,5%, on assiste à un déchaînement de réactions qui vont dans toutes les directions.

Cela faisait pourtant des mois que le gouvernement nous conditionnait à cette éventualité en faisant savoir sur de nombreuses tribunes que jamais Québec ne laisserait tomber Bombardier dans la poursuite du plus important projet transformationnel de son histoire, soit la mise au monde de sa nouvelle famille d'avions C Series et son éventuel succès commercial.

En juin dernier, au Salon international de l'aéronautique du Bourget en France, le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Exportation, Jacques Daoust, avait clairement laissé entendre que le gouvernement était favorable à une éventuelle participation financière dans Bombardier Aéronautique, si le besoin était nécessaire.

Il y a un mois, c'est le premier ministre Couillard lui-même, au cours d'une présentation à New York, qui a réaffirmé que Québec ne laisserait jamais tomber sa plus grande entreprise manufacturière et que le gouvernement serait là pour l'appuyer financièrement, comme l'Ontario l'a fait en investissant massivement dans GM pour lui éviter de faire faillite.

Renforcer et relancer

En marge de ces déclarations publiques, Bombardier et Québec n'ont en fait jamais cessé depuis six mois de discuter des modalités d'intervention optimales que prendrait la participation financière de Québec pour assurer la survie de la nouvelle famille d'avions C Series tout autant que la sécurité de l'investissement de Québec.

C'est la raison d'ailleurs qui a amené le gouvernement à favoriser la création d'une société en commandite exclusivement liée à l'existence de la C Series, plutôt que de réaliser un investissement dans sa société mère Bombardier inc., déjà largement endettée.

Injecter 1 milliard US dans une entreprise qui cumule à son bilan une dette qui excède de 3,6 milliards US la valeur de ses actifs n'aurait pas été très constructif et aurait eu un effet dilutif sur la valeur déjà très détériorée des actionnaires de Bombardier inc.

Québec n'investit pas dans les activités de transport ferroviaire du géant québécois, mais dans la pérennité du programme de la C Series.

Le but de l'opération, faut-il rappeler, est de sauver une nouvelle génération d'appareils commerciaux dont les coûts de développement ont déjà drainé près de 6 milliards, mais qui arrive enfin au terme de son processus d'homologation pour entreprendre à partir de l'an prochain sa vie commerciale avec un carnet de commandes de 20 milliards.

L'évaluation du risque d'investir dans la C Series a évidemment tenu compte de l'incapacité du programme à générer, au cours de la dernière année, une seule nouvelle commande.

À l'instar de nombreux analystes, Québec a évalué que le renforcement du bilan de l'entreprise va rassurer de nombreux clients potentiels qui pouvaient hésiter à se commettre avec un fournisseur aux capacités financières extrêmement limitées.

Québec a investi dans une société dont le bilan a été épuré après que Bombardier inc. eut pris une charge de 3,2 milliards à son dernier trimestre, ce qui reflète les dépassements de coût du programme.

Québec investit pour une durée de cinq ans dans la société en commandite et Bombardier pourra racheter à tout moment la participation de l'État. Dans cinq ans, le gouvernement disposera du droit de réaliser un appel public à l'épargne pour disposer de sa participation dans la société en commandite.

Ce n'est pas du bien-être social d'entreprise dont profite Bombardier, c'est le gouvernement qui réalise une étatisation partielle d'une activité centrale - le programme de la C Series - pour sécuriser tout l'avenir de l'industrie aéronautique québécoise. Idéalement, c'est tout le Québec qui pourra en profiter.