Depuis plus d'un mois maintenant, le dollar canadien poursuit son inlassable mouvement de glisse face au dollar américain, alors qu'il se rapproche d'un nouveau seuil psychologique qu'il pourrait franchir en tombant sous les 75 cents US. Le puissant avantage qu'un dollar canadien affaibli devait conférer à nos exportateurs tarde pourtant à se matérialiser en commandes sonnantes pour nos manufacturiers.

Au début du mois de mars, lorsque le dollar canadien s'est mis à clôturer régulièrement sous les 80 cents US, je m'inquiétais du fait que la faiblesse persistante de notre dollar ne semblait pas vouloir se traduire par une activité accrue vers le marché des États-Unis pour nos entreprises exportatrices.

Cinq mois plus tard, avec un dollar canadien qui se rapproche à bonne allure de la barre des 75 cents US, le constat que je faisais il y a cinq mois reste le même et il est partagé par plusieurs. La dévaluation de notre dollar ne génère pas nécessairement de nouvelles commandes pour les entreprises manufacturières québécoises.

Jean Matuszewski, président d'E&B Data, firme qui mesure la création de richesse et la contribution des entreprises à l'activité économique générale, constate que les entreprises canadiennes ont enfin réussi à rattraper les niveaux d'exportations qu'elles affichaient au moment de la crise de 2009.

Il a fallu six ans pour retrouver le niveau d'activité qui avait été interrompu par la crise de 2009, mais les entreprises canadiennes et québécoises ont vu durant la même période leur part du marché américain rétrécir au profit d'autres pays exportateurs.

En 2005, le Canada comblait 15% des importations totales des États-Unis. En 2014, la part de marché canadienne est tombée à 11%, alors que celle du Mexique est passée de 10 à 13% et que celle des pays de la zone euro a été maintenue à 16%.

«Au cours des deux dernières années, le dollar canadien s'est dévalué de 20% par rapport au dollar américain, mais l'euro a subi une dévaluation de 30% et le peso mexicain, de 20% durant la même période. La faiblesse de la devise n'est plus un avantage concurrentiel pour les entreprises québécoises et canadiennes», observe M. Matuszewski.

Carences structurelles

Éric Tétrault, président de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), abonde dans le même sens, tout en se faisant encore un peu plus cinglant à l'endroit de l'aversion au risque qui caractérise une majorité d'entrepreneurs québécois.

Selon lui, la faiblesse du dollar canadien n'arrive plus à masquer - comme cela a été le cas durant les années 1980 et 2000 - les carences structurelles de quantités d'entreprises manufacturières qui n'investissent tout simplement pas suffisamment dans l'innovation, la recherche et le développement.

«Les chiffres nous démontrent que l'on a retrouvé le niveau d'exportations qu'on affichait avant la crise de 2009, mais on n'a pas été chercher de nouveaux clients parce que nos entreprises ne sont pas assez productives», laisse tomber le président de MEQ.

Si la faiblesse du dollar canadien a longtemps été un avantage externe, ce n'est plus le cas aujourd'hui alors que les entreprises européennes sont nettement plus productives que nos manufacturiers et que les cadres des marchés qui sont en train de s'ouvrir vont immanquablement les favoriser.

«On va avoir un accord de libre-échange avec l'Europe et on s'embarque dans des négociations pour le Partenariat transpacifique. Ce sont des accords souhaitables, mais il faut pouvoir concurrencer à armes égales», met-il en garde.

À cet égard, la situation des entreprises québécoises - qui font face à une pénurie de main-d'oeuvre spécialisée et à une carence certaine en matière d'innovation - ne diffère pas tellement de celle de la majorité des entreprises canadiennes.

Le Canada se classe au 23e rang des 34 pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en ce qui a trait à la part de son produit intérieur brut (PIB) qu'il dépense en matière de recherche et développement.

Le Canada affecte l'équivalent de 1,60% de son PIB à la R-D comparativement à 4,20% pour Israël, 4,15% pour la Corée, 3,49% pour le Japon, 3,32% pour la Finlande ou 3,10% pour la Suède.

Le Canada investit moins que la moyenne des pays membres de l'OCDE (2,40%) et moins que la moyenne des pays membres de l'Union européenne (1,92%) et, enfin, moins que la République tchèque (1,91%) et l'Estonie (1,74%).

La faiblesse du dollar canadien ne sera d'aucun secours dans le marché Canada-Union européenne libéralisé, pas plus qu'il n'aura d'utilité dans un Partenariat transpacifique.