Avec la triste nouvelle de la mort de Jacques Parizeau, on a beaucoup rappelé, tout au long de la journée de mardi, le rôle central que le jeune haut fonctionnaire du gouvernement Lesage a joué dans l'édification du Québec moderne. Sa contribution à titre de ministre des Finances aura été, selon moi, encore plus marquante dans le façonnement d'un Québec beaucoup plus fort, décomplexé et capable de se mesurer économiquement au reste du monde.

Jacques Parizeau a été sans conteste l'un des grands architectes de la modernisation de l'État québécois lorsque, au début des années 60 - en plein bouillonnement de la Révolution tranquille -, il a entrepris de mettre son intelligence et ses compétences en finance au service de la collectivité.

Sous l'impulsion d'un gouvernement qui avait décidé de jouer pleinement la carte de l'audace, le jeune haut fonctionnaire Parizeau participe successivement à la création d'Hydro-Québec, de la Caisse de dépôt et placement du Québec et de la Société générale de financement (aujourd'hui fusionnée à Investissement Québec).

Cinquante ans plus tard, très peu de gens remettent en question le rôle, l'utilité et la nécessité de ces institutions et la vaste majorité des Québécois estiment qu'elles demeurent toujours très actuelles dans leur mandat spécifique.

Lorsqu'il devient ministre des Finances du premier gouvernement Lévesque, en novembre 1976, Jacques Parizeau doit naviguer en pleine tempête. Il a sur le dos l'establishment canadien et les milieux financiers américains qui ne cachent pas leur hostilité face à ce gouvernement sécessionniste.

L'économie mondiale, qui a été ébranlée par le premier choc pétrolier de 1973 (lorsque le prix du brut explose de 3$US à 10$US le baril...), va subir un second choc en 1979 quand les pays membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) font grimper le prix du baril de 13$US à 30$US, provoquant une flambée des prix dans les pays industrialisés.

C'est dans ce contexte économique houleux que Jacques Parizeau décide de lancer un programme audacieux, le régime d'épargne-actions (REA), qui vise à aider les entreprises québécoises à mieux se capitaliser par l'entremise du marché boursier en accordant une déduction fiscale aux investisseurs qui achètent de leurs actions.

Il faut rappeler qu'en 1981-1982, les taux d'intérêt atteignent 22%, ce qui force les entreprises québécoises à verser jusqu'à 50% de leur bénéfice d'exploitation à leurs banquiers.

En 1983, six entreprises québécoises font leur entrée en Bourse sous les auspices du REA; en 1984, ce sont une vingtaine d'entreprises qui décident de devenir des sociétés publiques, puis, en 1985, 58.

En 1986, on a droit à une explosion de nouveaux financements publics lorsque 135 entreprises québécoises décident de lever collectivement plus de 1,7 milliard de dollars de capitaux publics.

Le mouvement sera abruptement freiné par le krach boursier d'octobre 1987, alors que plusieurs projets d'émissions d'actions vont être annulés.

N'empêche, de 1983 à 1987, le REA a permis à 250 sociétés québécoises d'aller chercher des capitaux sur le marché boursier. Dix ans plus tard, 15 de ces entreprises ont été emportées par la faillite, 90 ont été achetées ou fusionnées et enfin 150 continuaient d'exister, dont plusieurs des nouveaux fleurons de Québec inc., tels que Couche-Tard, CGI, Québecor, Cogeco ou Transcontinental.

Jacques Parizeau a permis - ou a à tout le moins accéléré - l'éclosion d'une classe d'entrepreneurs qui ont construit des groupes solidement enracinés dans leur marché, mais aussi capables de prendre d'assaut les marchés canadiens, américains et mondiaux. Jacques Parizeau est à la base de ce qui est devenu le Québec inc. d'aujourd'hui.

Affable sous des airs austères

Le Jacques Parizeau que j'ai connu, lorsque j'ai eu l'occasion de le côtoyer de près durant quelques jours lors du Sommet des sept pays industrialisés de Venise, en 1987, était loin de l'image du personnage froid et distant que l'on se faisait naturellement de lui.

Malgré le ton professoral et l'approche toujours magistrale qu'il avait lorsqu'il donnait son point de vue, Jacques Parizeau pouvait être d'une grande affabilité avec les gens.

Professeur aux HEC, il avait été embauché par la Société Radio-Canada pour couvrir le Sommet économique de Venise à titre d'analyste pour la société d'État.

En pleine canicule, on s'était côtoyés toute la semaine dans la petite salle réservée à la presse canadienne où il nous arrivait - durant les longues sessions de travail fermées aux journalistes - de partager une petite bière dans un verre à café en carton.

Intarissable, l'ex-ministre des Finances m'expliquait sa vision de l'économie mondiale, de l'importance d'ouvrir les frontières au commerce en insistant toujours sur les droits et les devoirs des États à préserver leur souveraineté dans les champs d'activité sensibles.

Les hauts fonctionnaires aux Finances du gouvernement fédéral avaient à son égard une grande déférence, tout comme le ministre conservateur Michael Wilson, qui ne manquait pas de lui demander conseil sur certains enjeux. Jacques Parizeau avait cette faculté d'être capable de faire oublier l'ennemi politique juré qu'il avait déjà été pour laisser place au bienveillant professeur qu'il a toujours été.