Agropur et Saputo, les deux plus importantes entreprises québécoises du secteur de la transformation alimentaire, ont été passablement actives sur le marché des acquisitions cette année. Une activité passionnante, mais qui a un coût. Les deux vaches à lait viennent donc d'engranger un peu de foin pour mieux passer l'hiver.

Dans la grande entrevue de La Presse Affaires de samedi dernier, Robert Coallier, PDG d'Agropur, nous a expliqué qu'il avait pu réaliser trois importantes acquisitions en cours d'année en raison du bilan extrêmement sain de l'entreprise.

Agropur a ainsi pu profiter d'un puissant effet de levier pour mener à terme ses projets d'expansion grâce à l'appui financier d'un syndicat bancaire composé de 14 institutions.

Mais la taille de certaines bouchées - notamment celle de l'important transformateur de fromages américain Davisco - était tellement grande que l'endettement bancaire ne pouvait suffire à lui seul.

Robert Coallier m'avait confié que son groupe pourrait éventuellement recourir à l'émission de titres subordonnés pour réduire sa dette nouvellement acquise.

Visiblement, il était en pleine préparation de ce financement important, puisqu'on en a dévoilé les détails hier. Agropur a ainsi réussi à lever 470 millions de dollars de nouveaux capitaux, grâce à l'émission d'actions privilégiées.

Le volet financier de Québec inc. dans sa presque totalité a décidé d'appuyer la croissance de la plus grande coopérative laitière canadienne.

C'est la Caisse de dépôt et placement qui a mené ce bal financier en investissant 150 millions dans Agropur. La Caisse a laissé savoir qu'elle pourrait doubler sa mise dans l'éventualité où Agropur déciderait de réaliser une nouvelle émission de ses parts privilégiées.

La Banque Nationale et le Fonds de solidarité FTQ ont pris chacun une participation importante de 75 millions, suivis d'Investissement Québec qui souscrit à hauteur de 65 millions. Enfin, Capital régional et coopératif Desjardins et Fondaction CSN ont investi 55 millions et 50 millions chacun.

La coopérative laitière vient de se donner la marge financière nécessaire pour lui permettre de poursuivre son programme d'expansion du côté des marchés internationaux.

Saputo largue Jos Louis

Le géant mondial Saputo, qui a réalisé deux acquisitions cette année, dont celle de l'entreprise australienne Warrnambool au coût de plus de 500 millions, a lui aussi décidé de passer à la caisse en cédant sa division Boulangerie qui cuisine depuis 90 ans les gâteaux Vachon.

Saputo vend pour 120 millions ses activités de boulangerie au groupe mexicain Bimbo, par l'entremise de sa filiale canadienne Boulangerie Canada Bread, dont le siège social est en Ontario.

Les activités de boulangerie de Saputo étaient concentrées à Sainte-Marie de Beauce, là où sont nés les gâteaux Vachon et où l'entreprise exploite une usine qui emploie près de 700 personnes.

Les gâteaux Vachon, qui font la fierté de la Beauce, ont failli passer sous contrôle américain dans les années 60 avant que le Mouvement Desjardins décide d'acquérir ses activités et de l'exploiter pendant près de 30 ans, sous l'entité corporative Culinar.

En 1999, Desjardins avait annoncé la vente de Culinar au groupe américain Interstate Bakery, mais la Société générale de financement, qui contrôlait près de 40% des actions de Culinar, s'était opposée à la transaction et s'était alliée à Saputo pour que le transformateur laitier en fasse l'acquisition au coût de 283 millions.

Le fondateur de Saputo, Lino Saputo, a avoué quelques années plus tard que cette acquisition avait été une erreur parce que les activités de boulangerie ne cadraient pas avec la stratégie d'expansion du groupe laitier.

À la fin des années 90, Culinar employait plus de 2500 personnes, exploitait cinq usines et affichait des ventes de plus de 500 millions, avant d'être forcée à rationaliser ses activités.

Lorsque Saputo en a fait l'acquisition, Culinar réalisait des ventes de 313 millions et des profits nets de 46 millions. Au dernier exercice financier, la division Boulangerie a généré des revenus de 139 millions seulement.

La division était rentable, mais elle était gérée en silo, sans réelle possibilité de croissance, avec les activités centrales de Saputo qui sont en constante progression.

Le secteur de la transformation alimentaire est important pour l'économie québécoise. Plus de 2100 entreprises y sont actives, elles génèrent 65 000 emplois directs et 100 000 emplois indirects. Elles totalisent 24 milliards de dollars en livraisons annuelles, ce qui représente 12% du secteur manufacturier québécois et 6,7% du produit intérieur brut.