Curieuse coïncidence, deux Montréalais qui sont à la tête de deux des plus importantes sociétés de jeux en ligne du monde - Amaya et Caesars Interactive Entertainment - sont devenus soudainement des concurrents qui vont s'affronter pour prendre la plus large part possible du marché encore très fermé des jeux en ligne aux États-Unis.

David Baazov, à la tête de la société montréalaise Amaya, devra croiser le fer avec Mitch Garber, PDG de Caesars Acquisition Company, dont il a établi le siège social sur la rue Peel, à Montréal, et qui est déjà bien implantée dans le monde du jeu et du divertissement aux États-Unis, où l'entreprise exploite notamment six casinos.

Le jeune entrepreneur Baazov a fait une entrée remarquée, la semaine dernière, dans le cercle restreint des joueurs mondiaux du jeu en ligne en réalisant, au coût de 5 milliards, l'acquisition de Rational Group, la plus importante entreprise de poker en ligne du monde, propriétaire des sites PokerStars et Full Tilt Poker.

La société Amaya qu'a fondée David Baazov, il y a dix ans, était jusqu'à la semaine dernière spécialisée en développement et en implantation de systèmes de jeux de hasard pour les exploitants de casinos et de jeux en ligne.

Rational Group, la cible audacieuse de la dernière acquisition d'Amaya, vient transformer radicalement le portrait et la stature de la société qui réalisait des revenus annuels de 160 millions. Ses revenus devraient atteindre l'an prochain 1,3 milliard et ses profits d'exploitation, dépasser le cap des 600 millions.

Si David Baazos a remporté son improbable pari, c'est en bonne partie parce que Rational Group ne pouvait espérer prendre de l'expansion dans le marché des jeux en ligne aux États-Unis, où PokerStars était frappée d'un interdit d'y réaliser des affaires depuis que son cofondateur Isai Scheinberg a été accusé de blanchiment d'argent et de jeux illégaux.

Le nouveau propriétaire de PokerStars compte sur le fait que le marché américain devrait commencer à s'ouvrir aux jeux en ligne, tout comme ceux du Canada, de la France, de l'Italie, de l'Espagne et du Danemark.

Déjà bien en selle

J'ai joint hier Mitch Garber, PDG de Caesars Acquisition Company et de sa division Caesars Interactive Entertainment qu'il a créée en 2009 lorsque Caesars Entertainment, le géant mondial des casinos, l'a embauché.

De 2009 à 2013, le Montréalais a mis sur pied cette nouvelle entreprise qui a réalisé son inscription à la cote du NASDAQ en novembre dernier à la suite d'un premier appel public à l'épargne de 1,2 milliard.

Caesars Interactive a racheté les droits de la World Series of Poker - le plus gros tournoi de poker du monde - et en a développé une application en ligne.

Le groupe a réalisé en 2011 l'acquisition de Playtika, un concepteur de jeux en ligne propriétaire de l'application Slotomania qui a cumulé un succès mondial avec ses 100 millions de téléchargements.

En 2012, le groupe a acheté Buffalo Studios, qui a développé l'application mobile Bingo Blitz qui fait un carton sur Facebook.

En deux ans, Mitch Garber a mis sur pied un groupe de jeux mobiles d'une valeur de 1 milliard et, depuis 2009, il fait un lobbying intense auprès des autorités américaines et d'États spécifiques pour qu'ils autorisent les jeux en ligne.

«On a obtenu l'autorisation de l'État du Nevada, où l'activité des casions était déjà bien implantée, et on veut obtenir le droit d'opérer dans certains États ciblés qui sont populeux et où il existe déjà des activités de jeux traditionnelles, comme la Californie, le New Jersey, l'État de New York, l'Illinois et la Pennsylvanie», m'explique l'entrepreneur, en vacances dans les îles grecques.

Comment perçoit-il l'arrivée prochaine de son compatriote David Baazov et de PokerStars sur son terrain de jeu aux États-Unis? Mitch Garber reste résolument bon joueur.

«Il faut d'abord célébrer qu'un entrepreneur montréalais comme David réussisse à s'imposer sur la scène mondiale comme il vient de le faire. C'est une transaction audacieuse qu'il a réalisée», souligne-t-il.

Selon lui, plusieurs États vont s'ouvrir aux jeux en ligne en raison des gains fiscaux qu'ils pourront en retirer.

«Le poker en ligne, contrairement aux casinos traditionnels, ça ne crée pas d'emplois qui sont taxés. Les États s'intéressent au jeu en ligne dans la mesure où le pourcentage qu'ils peuvent tirer des revenus bruts que génère cette activité est élevé. Et il faut que cette activité soit très bien encadrée», précise Mitch Garber.

Le patron de Caesars Acquisition connaît David Baazov depuis quelques années déjà. Son entreprise a même déjà acheté un logiciel de jeux en ligne produit par Amaya à Montréal. Il n'en reste pas moins que c'est maintenant son plus proche concurrent.