En réduisant de 20% une série de crédits d'impôt aux entreprises, le premier budget Leitao a confirmé la volonté du gouvernement libéral d'être moins interventionniste dans l'économie québécoise. On peut se demander jusqu'où ira ce plus grand laisser-aller lorsque viendra le temps d'assurer la protection d'entreprises québécoises qui font l'objet d'une tentative de prise de contrôle (OPA) hostile.

Dans la foulée de la présentation de son budget, mercredi, le ministre des Finances Carlos Leitao a fait une déclaration surprenante à un journaliste du Financial Post qui le questionnait sur l'attitude que le gouvernement libéral entendait adopter à l'égard des entreprises à contrôle québécois.

«Nous sommes plus intéressés à créer de nouveaux sièges sociaux, à en attirer de nouveaux, qu'à protéger ceux qui existent déjà», a déclaré M. Leitao au journaliste du Post.

Le nouveau ministre des Finances a enchaîné en précisant que le gouvernement libéral avait décidé de revenir sur un de ses engagements de la dernière campagne électorale, lequel prévoyait d'utiliser jusqu'à 20% des sommes accumulées dans le Fonds des générations (5,6 milliards de dollars à ce jour) pour prendre des participations au capital de sociétés faisant l'objet d'OPA hostiles.

Québec juge maintenant qu'Investissement Québec sera financièrement en mesure de réaliser à elle seule pareilles opérations de sauvetage financier.

Ce qui n'est pourtant pas le cas. Lorsque la chaîne de quincailleries Rona a dû faire face à l'éventualité d'une OPA hostile de la part du groupe américain Lowe's, en 2012, il a fallu la mobilisation de plusieurs investisseurs institutionnels québécois pour constituer une masse de blocage conséquente.

La Caisse de dépôt et placement, Investissement Québec, le Fonds de solidarité FTQ et la Banque Nationale avaient tous répondu à la préoccupation du ministre des Finances, Raymond Bachand, qui avait statué que Rona était un actif stratégique qu'il fallait protéger.

Si l'intervention financière directe d'un gouvernement pour empêcher la réalisation d'une transaction sur les marchés peut en rebuter plus d'un, beaucoup souhaitent cependant que les lois sur les valeurs mobilières assurent un meilleur traitement aux investisseurs à long terme.

Un groupe de chefs d'entreprise québécois a déposé avant les dernières élections des recommandations au gouvernement en vue d'obtenir une meilleure protection des sièges sociaux qui sont vulnérables au Québec.

Ils souhaitent notamment que les actionnaires de longue date puissent bénéficier d'une voix prépondérante, advenant une offre d'achat hostile, comme la législation de certains États américains le permet.

La Caisse y croit toujours

Cette mobilisation récente du Québec inc. s'est déployée au moment même où Osisko, la seule société minière québécoise d'envergure, faisait l'objet d'une OPA hostile du groupe torontois Goldcorp. La disparition assurée du siège social d'Osisko comptait parmi les préoccupations des opposants à cette transaction.

L'offre de Goldcorp, estimée à 6,21$ par action d'Osisko, a été battue par une proposition du groupe torontois Yamana Gold, appuyée financièrement par la Caisse de dépôt et l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada.

Les trois partenaires ont concocté une transaction qui valorisait à 7,60$ l'action d'Osisko, tout en assurant l'intégrité de l'entreprise et de son siège social québécois.

Finalement, Yamana Gold s'est associée à la torontoise Agnico Eagle pour présenter une offre évaluée à 8,15$ pour chaque action d'Osisko.

La transaction a obtenu le feu vert des actionnaires d'Osisko la semaine dernière à Montréal, et l'entreprise ne comptera plus qu'un petit groupe d'employés qui travaillera sur un projet de mine au Mexique, tout en récoltant des redevances sur les activités de celle de Malartic.

«On a tenté de donner une marge de manoeuvre à Osisko en présentant une offre très créative avec Yamana Gold. Mais, au bout du compte, une offre plus généreuse est survenue», m'a expliqué hier, fataliste, Michael Sabia, PDG de la Caisse de dépôt.

M. Sabia se dit toujours convaincu qu'il vaut la peine de faire le maximum pour protéger les sièges sociaux québécois. «C'est beaucoup plus qu'un bureau. Ce sont des investissements, du capital, de la productivité. Notre objectif est de travailler pour que les entreprises québécoises se développent», rappelle-t-il.

Avec d'autres dirigeants institutionnels d'envergure, tels l'OIRPC, Mackenzie ou AXA, Michael Sabia cherche à faire en sorte que la voix des actionnaires «citoyens», qui investissent dans une perspective à long terme, soit entendue pour soustraire les PDG de sociétés publiques à la tyrannie du rendement à court terme.

Comment s'y est-il pris pour convaincre la société Trimark de faire preuve de patience et d'accepter que Rona se restructure alors que la firme de placement torontoise, un important actionnaire de Rona, militait en faveur de sa vente à l'américaine Lowe's?

«Il y aurait beaucoup à dire. Disons qu'on leur a beaucoup parlé, et ils ont compris qu'il serait plus payant d'attendre que le marché se replace. Ils ont vu la nomination de Robert Chevrier à la présidence du conseil et ils ont accepté son plan de redressement», résume Michael Sabia.