Les analystes financiers ont eu beau clamer depuis des mois que Bombardier ne sera jamais capable de respecter le calendrier de livraison de ses nouveaux appareils CSeries, la confirmation de cette non-nouvelle a pourtant été vigoureusement sanctionnée hier à la Bourse de Toronto, où le titre de l'entreprise a subi une dégelée injustifiée.

Les marchés boursiers aiment les psychodrames, ou à tout le moins les investisseurs hyperactifs qui y participent, ceux qui cherchent à réaliser un gain sur chaque fluctuation prévisible du cours d'un titre, qu'elle soit à la hausse ou à la baisse.

C'est ce qui explique le mouvement de frénésie qui s'est emparé de l'action de Bombardier, dont pas moins de 35 millions de titres ont changé de main sur le parquet de la Bourse de Toronto.

Cette hyperactivité boursière s'est déployée dans la foulée de l'annonce par Bombardier du report d'au moins neuf mois des premières livraisons de ses avions CSeries.

Une confirmation qui n'aurait dû surprendre personne, puisqu'elle était attendue depuis le vol inaugural de la nouvelle famille d'avions, lequel avait lui-même cumulé neuf mois de délais.

On comprend tous que Bombardier devra assumer davantage de coûts de développement et devra décaler de plusieurs mois l'encaissement des revenus prévus de la vente de ses premières commandes.

Mais cette réalité aurait dû être escomptée par les investisseurs qui croient au potentiel à long terme de Bombardier, et plus particulièrement au marché dans lequel évoluera sa nouvelle gamme d'avions commerciaux.

Ceux qui connaissent l'aéronautique savent que le lancement d'un nouvel appareil relève d'un processus éminemment complexe, de sa conception à son assemblage final et ses tests en vol.

Construit à partir de nouveaux matériaux, équipé d'un poste de pilotage et d'une avionique totalement réinventés, propulsé par une nouvelle famille de réacteurs, l'appareil doit arriver à intégrer tous ces éléments dans le respect le plus absolu de la sécurité.

Que certains investisseurs soient déçus que Bombardier annonce un délai de neuf mois dans ses premières livraisons est compréhensible. Mais ce délai reste tout de même nettement inférieur à ceux que l'industrie aéronautique moderne vient tout juste d'enregistrer.

Le plus récent Airbus 350, qui a réalisé son vol inaugural en juin dernier, a cumulé des retards de livraison de plus de deux ans par rapport aux prévisions initiales de l'avionneur européen.

Le Dreamliner de Boeing, qui a entamé sa vie commerciale en novembre 2011, devait initialement entrer en service en mai 2008. La livraison du premier avion de rêve a accusé un retard de plus de trois ans.

Et encore là, on a reproché à Boeing d'avoir précipité le lancement commercial de son nouvel avion lorsque sept de ses appareils ont subi des incidents techniques importants en sept jours seulement.

Les constructeurs d'avions se sont engagés à livrer des avions qui consomment moins de carburant, qui sont plus silencieux et davantage respectueux de l'environnement.

Engagement qui les a forcés à revoir leurs façons de faire et de penser et qui s'est traduit en délais de développement plus importants que prévu. À cet égard, le retard de neuf mois que vient d'annoncer Bombardier m'apparaît tout à fait raisonnable. On est loin du psychodrame.