En plein blitz médiatique, les deux entreprises albertaines Enbridge et TransCanada ont monopolisé l'actualité économique montréalaise hier et réussi à rallier un consensus certain dans le monde des affaires autour de leur projet respectif d'oléoduc pour acheminer le pétrole de l'Ouest vers les raffineries du Québec et du Nouveau-Brunswick.

Depuis le début de l'été, on a l'impression que la vie économique au pays ne fonctionne plus qu'en mode bi-industriel, alors qu'il n'a pratiquement été question que de téléphonie sans fil et de transport de produits pétroliers.

On a beaucoup parlé de l'industrie du sans-fil en raison de la venue possible du géant américain Verizon dans le marché canadien et du braquage que cette éventualité a suscité chez les trois gros acteurs de l'industrie. La pénible sortie de crise du fabricant BlackBerry a elle aussi généré son lot de nouvelles hebdomadaires.

Depuis la tragédie de Lac-Mégantic, survenue le 6 juillet dernier, c'est toutefois la polémique entourant le transport des produits pétroliers qui a occupé le devant de la scène dans l'actualité.

On a soudainement pris conscience que le recours sans cesse grandissant au transport ferroviaire pour amener cette matière première stratégique vers les marchés à forte demande comportait des risques que le terrible accident de Lac-Mégantic a violemment mis en évidence.

C'est dans ce contexte très particulier qu'Enbridge et TransCanada - qui planchaient déjà depuis plusieurs années sur leur projet de construire ou de modifier un pipeline pour transporter le pétrole albertain vers l'est du pays - sont devenus depuis peu les promoteurs actifs de ces nouvelles initiatives.

TransCanada a officiellement annoncé, le 1er août, qu'elle voulait aller de l'avant avec son projet Oléoduc Énergie Est, un pipeline de 4500 kilomètres qui pourra transporter 1,1 million de barils de pétrole brut par jour de l'Alberta jusqu'à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick.

Enbridge, pour sa part, souhaite depuis un bout de temps déjà renverser le flux de son pipeline numéro 9 entre Sarnia, en Ontario, et Montréal pour y faire circuler du pétrole albertain plutôt que de transporter du pétrole importé de Montréal vers l'Ontario.

Al Monaco, PDG d'Enbridge, était donc de passage au Québec hier, à la tribune de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, pour faire la promotion de la nouvelle vocation de son oléoduc. La société albertaine attend l'autorisation de l'Office national de l'énergie avant de mettre en branle son projet de conversion, ce qui devrait se faire au début de l'an prochain.

Les patrons applaudissent

La sortie publique montréalaise de M. Monaco a été courue par les responsables d'à peu près toutes les associations patronales québécoises. Les PDG de la Chambre de commerce de Montréal, de la Fédération des chambres de commerce du Québec et du Conseil du patronat étaient sur place pour l'entendre livrer son discours.

Les mêmes porte-parole ont tous aussi unanimement réagi favorablement à la publication des résultats d'une étude de retombées économiques qu'avait commandée la corporation TransCanada à la firme Deloitte&Touche pour son projet Oléoduc Énergie Est et qui a été dévoilée hier.

Selon cette étude, la réalisation du pipeline de 4500 kilomètres qui impliquera la mise en place d'un nouveau tronçon reliant Montréal à Saint-Romuald, puis à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) nécessitera des investissements de 12 milliards de dollars.

Le Québec profitera de la création de 7300 emplois directs et indirects durant les 5 années de construction de l'oléoduc sur son territoire et de 300 emplois directs et indirects durant les 40 premières années d'exploitation du pipeline.

Selon Deloitte, les différents ordres de gouvernement au Québec bénéficieront de retombées fiscales de 2 milliards au cours des 40 prochaines années.

Cette étude fort positive sur les retombées du projet de TransCanada et la sortie montréalaise du PDG d'Enbridge confirment donc que les deux entreprises albertaines sont maintenant bien sur le mode conquête du marché de l'Est canadien.

Si la tragédie de Lac-Mégantic les avait forcées à observer une certaine réserve quant aux objectifs qu'elles caressaient, il n'est plus question pour elles de cacher leurs intentions.

Si elles veulent toutefois que leur projet passe l'étape cruciale de l'acceptabilité sociale, elles devront faire oeuvre de pédagogie pour bien expliquer en quoi les Québécois trouveront un avantage à consommer du pétrole albertain plutôt qu'algérien ou vénézuélien.