Personne n'a été surpris que Montreal, Maine&Atlantic Railway (MMA) se soit placée hier sous la protection des tribunaux américain et québécois, le temps qu'elle trouve une voie d'arrangement avec ses créanciers, dont la liste s'est passablement alourdie depuis un mois. La surprise, c'est que MMA n'ait pas entrepris plus tôt cette ultime démarche avant son fort prévisible démembrement.

Dès les premiers jours qui ont suivi le terrible accident de Lac-Mégantic, on savait que ce petit opérateur ferroviaire régional - à la limite de l'artisanal - n'aurait jamais les reins assez solides pour passer à travers l'irréparable catastrophe qu'il venait de déclencher.

Une entreprise ferroviaire qui décide, par souci d'économie ou par simple pingrerie, d'assigner un seul conducteur de locomotive par convoi alors que la norme de l'industrie est de maintenir deux chefs aux commandes d'un train de marchandises, n'est pas une entreprise qui roule sur l'or.

Une entreprise qui assurait l'entretien de son réseau de voies ferrées et de passages à niveau à des seuils minimalistes, tels que l'ont décrit des séries de reportages sur l'état du tronçon de voies ferrées entre Montréal et Lac-Mégantic, n'est pas capable d'assumer les coûts de réparation et de reconstruction que commande une tragédie de l'ampleur de celle qu'elle a causée.

Bref, MMA a donc déposé une requête en Cour supérieure du Québec pour se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et de profiter des clauses du Chapitre 11 de la Loi sur les faillites devant un tribunal de l'État du Maine.

La pression était devenue intenable pour MMA. Les deux mises en demeure que lui a fait parvenir coup sur coup la semaine dernière la municipalité de Lac-Mégantic pour que l'entreprise règle au moins une première facture de 8 millions pour les travaux de nettoyage du site dévasté ont fait leur effet.

D'autant que ces premières démarches juridiques ont coïncidé avec l'injonction sans appel formulée par le ministère de l'Environnement pour que MMA règle tous les coûts de décontamination du pétrole générés par son accident.

Pour une entreprise à la santé financière fragile, pour ne pas dire aléatoire, et dont les activités sont de surcroît sérieusement paralysées depuis le 6 juin dernier, il est pratiquement impossible de penser que MMA pourra reprendre vie un jour.

En se prémunissant de la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, MMA a fait la seule chose qu'elle pouvait et qu'elle devait surtout faire.

«C'était la seule avenue possible, m'expliquait hier Jean Gagnon, président de Raymond Chabot inc. Insolvabilité. Si le juge lui accorde la protection de la Loi, MMA va avoir un répit d'au moins 30 jours durant lesquels personne ne pourra tenter de saisir ses actifs et provoquer sa faillite.

«Une fois ce délai expiré, MMA pourra demander un prolongement d'une autre période de 45 ou 60 jours, avec possibilité de renouvellement, et c'est le juge qui va décider comment l'entreprise procédera par la suite avec ses créanciers.»

Selon les documents déposés devant le tribunal américain, MMA aurait entre 200 et 999 créanciers, des actifs d'une valeur entre 50 et 100 millions et des dettes qui s'élèveraient jusqu'à 10 millions.

Parmi celles-ci, la requête d'hier a permis d'apprendre que la société ferroviaire devait 541 000$ au CP, 2 millions au New Brunswick Southern Railway et 105 000$ au bureau d'avocats Gowling Lafleur Henderson. L'entreprise serait aussi redevable de 1 million à son président du conseil Ed Burkhardt.

Ces créanciers devront attendre que le juge décide d'un concordat, mais jamais ils n'auront droit de toucher un sou de l'indemnité financière qu'obtiendra MMA de sa ou ses compagnies d'assurance. Cet argent servira à rembourser les coûts de nettoyage, les indemnités aux sinistrés et toutes les autres dépenses liées à l'accident du 6 juillet.

Selon Jean Gagnon, si les coûts du désastre dépassent la valeur de l'indemnité - ce qui va nécessairement se produire -, ce sera encore une fois au juge de décider une entente de partage entre les différentes parties en cause.

Ce n'est qu'une fois seulement ce dossier réglé que MMA pourra chercher à s'entendre avec ses créanciers en disposant fort probablement des actifs qui lui resteront. Ce sera alors la fin de ce qui aura été un pénible cauchemar pour bien du monde.