On dit que l'histoire ne fait que se répéter sans cesse. C'est un peu l'impression que m'a fait mercredi la nouvelle annonçant que BRP venait de déposer un prospectus provisoire en vue d'un premier appel public à l'épargne.

Un PAPE qui survient tout de même 44 ans après celui que Laurent Beaudoin a réalisé en 1969 lorsque deux millions d'actions de Bombardier avaient été vendues sur le marché public.

Une partie de ce premier financement public de 1969 avait permis à Bombardier de réaliser sa première acquisition internationale en mettant la main sur la société autrichienne Rotax, qui fabriquait les moteurs des motoneiges et des motomarines et qui le fait toujours aujourd'hui.

On connaît la suite. Cette première percée à l'international a été suivie par des dizaines d'autres qui ont totalement transformé Bombardier en numéro un mondial du transport ferroviaire et numéro trois de l'aéronautique.

Ce cheminement ne s'est pas fait sans heurts, et Bombardier a dû céder en 2003 - au plus fort d'une douloureuse crise existentielle - la division des produits récréatifs (BRP) qui l'avait mise au monde, mais dont la vocation industrielle ne cadrait plus avec la forte concentration des activités de transport.

Assistée du fonds d'investissement Bain Capital (50%) et de la Caisse de dépôt et placement (15%), la famille Bombardier-Beaudoin (35%) a participé au rachat de BRP et à sa privatisation. Dès 2003 toutefois, il était convenu que BRP redeviendrait une société publique à court terme lorsque Bain Capital liquiderait ses actions pour monétiser son investissement, ce qui est dans la nature même de ses interventions.

L'horizon de cinq à sept ans, durant lequel Bain Capital garde normalement sa participation dans le capital d'une entreprise qui se réorganise, a été passablement perturbé par la terrible récession de 2008-2009 qui a affecté de plein fouet BRP, une entreprise hypersensible aux cycles économiques.

Il a fallu trois ans à BRP, de 2010 à 2013, pour absorber le choc de la crise et assainir son bilan. À son plus récent exercice, terminé le 31 janvier 2013, elle a réussi à dégager des revenus records de 2,9 milliards et un bénéfice net de 121 millions.

L'entreprise reste le numéro un mondial de la motoneige et de la motomarine, secteur qui lui assure 36% de ses revenus annuels. Elle est aussi le premier fabricant mondial de VTT et de VCC (véhicules biplaces côte à côte), activité qui génère également 36% de ses revenus. Les pièces et accessoires totalisent 16% et les moteurs à hors-bord, 12%.

L'émission d'actions que projette BRP devrait lui rapporter 250 millions, et les trois principaux actionnaires vont maintenir leur participation à leur niveau actuel, même si celle-ci sera quelque peu diluée.

Chose certaine, Bain Capital profitera de cette entrée en Bourse pour réduire au fil des ans sa participation au capital de BRP, comme elle l'a fait récemment avec Dollarama.

Un événement rare

Ce qui est sûr, c'est que l'inscription prochaine de BRP à la cote de la Bourse de Toronto constituera en soi un fait rare au Canada. Depuis des années, les premiers appels publics à l'épargne n'ont plus la cote.

De nombreuses entreprises préfèrent explorer des sources de financement parallèles plutôt que de recourir à l'épargne publique et de devoir vivre sous l'encadrement et la réglementation des sociétés cotées à la Bourse.

Luc Bachand est vice-président du conseil et chef de BMO Marchés des capitaux pour le Québec et c'est BMO qui est le preneur ferme du projet d'émission de BRP.

«J'aimerais ça faire plus de nouvelles émissions. J'aimerais bien amener un Aldo à la Bourse, mais ni Aldo Bensadoun ni ses deux enfants, qui prennent la relève de l'entreprise, ne sont intéressés à diriger une société publique.

«C'est une tendance qu'on observe depuis quelques années et ça ne semble pas vouloir changer», observe le spécialiste des marchés.

Au cours des trois dernières années, seulement 18 nouvelles émissions d'actions de plus de 100 millions ont été réalisées à la Bourse de Toronto. De ce nombre, huit ont été des fiducies de placement immobilier (REIT) et six, des entreprises du secteur pétrole et gaz.

En trois ans, seulement quatre entreprises de secteurs diversifiés ont procédé à un PAPE à Toronto, dont La Baie. Une seule des 18 nouvelles émissions d'actions de plus de 100 millions a été réalisée par une société québécoise, soit Tissue KP qui a levé 135 millions en octobre dernier.

En redevenant une société publique, 44 ans plus tard, BRP sera donc une des rares sociétés industrielles à s'inscrire à la cote de la Bourse de Toronto cette année, ce qui est tout à fait conforme à l'image d'entreprise audacieuse qu'elle a toujours été.