C'était une question de temps et, de l'avis de plusieurs, c'est même une décision qui aurait dû être prise depuis longtemps déjà. Marc Tellier quittera d'ici l'été son poste de PDG de Yellow Média dès qu'on lui aura trouvé un successeur.

Après avoir lourdement endetté l'ancien groupe d'édition des Pages Jaunes, il a été incapable d'orchestrer sa transition vers le modèle numérique sans faire perdre au passage une fortune à ses actionnaires.

Marc Tellier, fils de Paul Tellier, l'ex-PDG de Bombardier et du CN, était à l'emploi de BCE depuis une dizaine d'années lorsqu'il a hérité de la présidence du Groupe Pages Jaunes, la division de publication de bottins téléphoniques de Bell Canada, en 2001.

Cette division, qui ne cadrait plus dans le modèle d'affaires de BCE, a été mise aux enchères la même année et rachetée par le fonds d'investissement KKR et Teachers. En 2003, le Groupe Pages Jaunes faisait son entrée en Bourse en utilisant une fiducie de revenu, véhicule très populaire à l'époque auprès des investisseurs.

Au cours de ces années, Marc Tellier multiplie les coups d'éclat en se faisant le consolidateur du marché canadien des bottins téléphoniques, en achetant notamment le groupe SuperPages, en 2005, au fort prix de 2,5 milliards.

Après avoir complété cette coûteuse acquisition dans le très traditionnel marché des répertoires téléphoniques, Marc Tellier veut faire opérer au Groupe Pages Jaunes son virage numérique en acquérant le site transactionnel d'annonces de voitures d'occasion Trader au prix de 1 milliard .

Cette dernière acquisition tarde à produire des résultats probants au moment même où le Groupe Pages Jaunes perd son statut fiscal privilégié de fiducie de revenu lorsque le ministre des Finances, Jim Flaherty, réforme la loi et abolit les privilèges de ces véhicules.

Marc Tellier se retrouve soudainement pris en souricière entre son modèle traditionnel d'annuaires téléphoniques qui ne cesse de perdre des parts de marché et son nouveau modèle numérique qui n'arrive pas à générer les revenus de son financement.

Rapidement et de façon systématique, l'action du Groupe Pages Jaunes, qui a déjà atteint un sommet à près de 20$, se met à décliner. En 2011, Pages Jaunes, qui était hier encore une machine à produire des dividendes, annonce la suspension de leur versement.

Simultanément, on annonce une radiation d'actifs de 2,9 milliards. Aux prises avec une dette de 2,4 milliards, Marc Tellier annonce une restructuration du capital de Pages Jaunes au terme de laquelle 1,5 milliard de créances seront effacées et transformées, en partie, en nouveau capital.

Entre-temps, pour respirer un peu, il a cédé pour 750 millions sa division Trader qu'il avait achetée 1 milliard, quelques années plus tôt.

L'action de Yellow Média ne valait plus que 6 cents lorsqu'on l'a retirée du marché le 19 décembre dernier. Le lendemain, Yellow Média s'est réinscrite à la Bourse de Toronto avec un tout nouveau titre dont la valeur a été alimentée par les spéculateurs pour passer rapidement de 6$ à plus de 10$.

Ces nouveaux actionnaires de Yellow Média ont le coeur solide parce que même allégé d'une partie de sa lourde dette, l'avenir du groupe n'est toujours pas assuré. Le groupe génère toujours une activité hybride alors que les revenus de ses activités de bottins téléphoniques ne font que reculer de trimestre en trimestre et ceux associés à ses nouvelles plateformes numériques ne font que progresser à pas de tortue.

À son dernier trimestre, Yellow Média a dégagé un bénéfice net de 24 millions contre 48 millions l'année précédente. Ses revenus de 313 millions de 2011 ont été ramenés à 264 millions.

Marc Tellier a peut-être réussi le sauvetage de ce qui restait de Yellow Média, mais il n'a jamais été en mesure d'identifier sur quelles bases le groupe allait réellement opérer sa transformation et enrayer une fois pour toutes son déclin. Il était temps qu'il cède sa place.