L'offre publique d'achat (OPA) que vient de lancer le conglomérat chinois CNOOC sur la société pétrolière albertaine Nexen permettra de mesurer le degré d'ouverture du gouvernement Harper à l'endroit des investissements étrangers et la façon dont il perçoit les avantages qui peuvent découler de la vente d'une entreprise canadienne. Jusqu'à preuve du contraire, cette transaction semble tout à fait désignée pour démontrer l'ouverture du Canada à la Chine.

Dès que les deux entreprises ont annoncé hier matin les détails de cette OPA de 15,1 milliards de dollars, le gouvernement fédéral a fait savoir que la transaction allait d'abord devoir subir l'examen à travers le prisme de la Loi sur Investissement Canada ainsi que le test du Bureau de la concurrence.

Une exigence tout à fait conforme à la loi fédérale qui stipule que l'acquisition d'une entreprise canadienne par une société étrangère - à un coût supérieur de 330 millions - doit être soumise à un examen prenant en compte différents paramètres.

Il s'agit de déterminer si cette transaction aura des conséquences sur les investissements futurs et les emplois au Canada, le niveau de production et le niveau de participation canadienne dans la nouvelle entreprise ainsi que la compétitivité du Canada à l'étranger.

Cela dit, tous ont en mémoire la cabale qui a suivi, il y a deux ans, le dépôt de l'OPA de BHP Billiton sur la société Potash Corp. de la Saskatchewan, plus gros producteur de potasse au monde.

La transaction de 39 milliards a rapidement avorté lorsqu'à peu près tous les acteurs économiques et politiques canadiens se sont opposés à ce que le Canada laisse filer entre des mains étrangères une ressource aussi stratégique que peut l'être la potasse, un important fertilisant agricole.

Le ministre fédéral de l'Industrie de l'époque s'était opposé à la transaction surtout parce qu'elle n'avait pas passé le test de la Loi sur Investissement Canada.

Pourtant, trois années plus tôt, la vente d'Alcan à des intérêts étrangers - Rio Tinto - n'avait aucunement suscité pareille mobilisation nationaliste. Il faut dire que les actionnaires de la multinationale Alcan étaient disséminés partout dans le monde et que les actifs d'Alcan n'étaient pas seulement localisés sur le sol canadien.

C'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle la vente de Nexen à la société d'État chinoise CNOOC (Chinese National Off-Shore Oil Company) ne devrait pas soulever le même opprobre que la vente de Potash Corp. Le gouvernement fédéral aura beaucoup de difficultés à citer des obstacles qui pourraient empêcher la transaction de se réaliser.

Nexen est une société pétrolière de l'Alberta, la 12e plus importante société productrice de pétrole du pays, dont le siège social est à Calgary. Soit, mais ses principaux actifs sont - et largement - localisés à l'extérieur du pays.

Il ne s'agit donc pas ici de protéger des actifs stratégiques dont la perte pourrait réduire l'autonomie énergétique canadienne. Il ne s'agit pas non plus d'empêcher une transaction parce qu'elle nuirait à la compétitivité canadienne à l'étranger.

Sur les 6,5 milliards de revenus que Nexen a réalisés en 2011, 53% ont été générés par ses gisements pétroliers de la mer du Nord, 28% par ses propriétés dans le golfe du Mexique, au Yémen, en Colombie et au Nigéria, et seulement 19% de ses revenus ont été produits dans les sables bitumineux de l'Alberta.

Le principal actif canadien dont héritera CNOOC dans la foulée de son acquisition de Nexen, c'est la participation que détient la société albertaine dans le projet d'extraction de pétrole de sables bitumineux de Long Lake, en Alberta.

Or, CNOOC est déjà le principal partenaire de Nexen dans ce projet depuis qu'elle a acquis l'an dernier pour 2,1 milliards la participation que détenait Opti Canada.

Le gouvernement Harper aurait beaucoup de difficultés à expliquer pourquoi il refuse à un partenaire déjà sur place, même s'il est chinois, de consolider sa position dans un seul projet de sables bitumineux.

Curieux hasard, la société pétrolière chinoise Sinopec a elle aussi annoncé hier un investissement dans une société canadienne. Elle va payer 1,5 milliard pour acquérir 49% de la participation des opérations britanniques de Talisman, une autre société de Calgary.

Stephen Harper s'est rendu en Chine en février dernier pour y raffermir les liens commerciaux avec le deuxième plus important partenaire économique du Canada.

Il a profité de cette mission pour signer un accord avec son homologue chinois en vue d'augmenter les investissements de chacun des pays. L'Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APIE) assure notamment aux investisseurs étrangers qu'ils recevront un traitement aussi favorable que celui réservé aux investisseurs nationaux.

Les gouvernements canadien et chinois doivent chacun faire accepter les modalités juridiques de ce nouvel accord pour qu'il devienne effectif. Voilà une autre bonne raison pour laquelle le gouvernement conservateur ne présentera pas d'opposition idéologique à la transaction que vient d'annoncer CNOOC. Le Canada veut construire un oléoduc pour transporter le pétrole albertain vers l'océan Pacifique pour l'écouler sur le marché chinois. Ce n'est vraiment pas le temps de fermer la porte à toute ouverture commerciale.

Pour joindre notre chroniqueur: jdecarie@lapresse.ca

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49 milliards US


Ensemble des investissements à ce jour des sociétés chinoises dans le secteur pétrolier au Canada (incluant la transaction CNOOC-Nexen)

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20 milliards US

Investissements chinois dans les sables bitumineux dans l'Ouest canadien

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Trois transactions majeures des Chinois

- Offre d'achat de Nexen par CNOOC (2012): 15,1 milliards

- Daylight, achetée par Sinopec (2011): 2,2 milliards

- Opti Canada, achetée par CNOOC (2011): 2,1 milliards