Il n'y a pas eu de hauts cris, personne n'a déchiré sa chemise.

Bien au contraire, c'est par une immense majorité de 99,8% que les actionnaires de second rang d'Astral, les subalternes, comme on les appelle, ont appuyé l'offre de BCE de leur payer 50$ pour leurs actions de catégorie A, soit près de 10% de moins que les 54,83$ que recevront les actionnaires de catégorie B.

L'assemblée extraordinaire des actionnaires d'Astral, qui avait été convoquée hier pour tenir le vote sur le projet d'acquisition de 3,4 milliards de dollars de BCE, a été en fait d'une brièveté fulgurante.

Moins de 10 minutes, soit le temps que j'ai dû prendre pour effectuer un long détour en raison des travaux sur la rue Sherbrooke. J'ai manqué l'assemblée, mais j'ai pu assister à la conférence de presse qui a suivi où curieusement le PDG d'Astral, Ian Greenberg, brillait par son absence.

Il devait présider une téléconférence avec des analystes, s'est excusé Robert Fortier, chef de la direction financière du groupe de communications.

On aurait pourtant aimé obtenir les réactions de M. Greenberg qui venait de se faire refuser une prime de 25 millions par les actionnaires ordinaires d'Astral. Une jolie somme, on en convient. Une véritable fortune en fait.

Ian Greenberg a fait passablement parler de lui depuis que la circulaire expliquant les détails de l'offre publique d'achat (OPA) de BCE a été rendue publique.

Ma collègue Sophie Cousineau a patiemment fait le décompte de la somme totale dont allait hériter M. Greenberg au terme du processus de vente, en n'omettant aucune catégorie d'actions dont il était propriétaire, qu'elle soit de type A, B ou spéciales ainsi que les options qu'il allait encaisser, ce qui représente 70 millions.

Mais l'offre de BCE prévoyait aussi une indemnité de départ de 5,9 millions et une prime de rétention de 25 millions. C'est cette dernière prime que M. Greenberg ne verra jamais parce que les actionnaires ont majoritairement décidé de ne pas l'appuyer, dans un vote séparé à celui sur la transaction.

Les administrateurs d'Astral n'étaient pas contraints de tenir un vote sur cette prime versée à Ian Greenberg. Ils l'ont fait par souci de transparence, a expliqué hier le président du conseil d'Astral, André Bureau, et les actionnaires ordinaires ont décidé de ne pas l'appuyer.

Cela dit, Ian Greenberg va tout de même récolter 76 millions de la vente de l'entreprise qu'il a bâtie avec son frère au cours des 40 dernières années. C'est beaucoup d'argent, mais c'est aussi pleinement mérité parce que Ian Greenberg a créé une grande entreprise de communication à partir de rien.

Depuis qu'il a pris les commandes d'Astral, à la suite du décès de son frère, il y a 15 ans, la valeur de l'entreprise est passée de 165 millions à 3,4 milliards. C'est ce qu'on appelle créer de la valeur.

À cet égard et étant donné les fortunes que de simples PDG opportunistes peuvent récolter lors d'OPA du type de celle qu'a lancée BCE sur Astral, il n'aurait pas été totalement immoral que Ian Greenberg obtienne sa prime.

M. Greenberg a littéralement et patiemment construit la valeur qui profitera sous peu à tous les actionnaires d'Astral, contrairement, par exemple, à Dick Evans, l'ex-PDG d'Alcan qui a touché plus de 60 millions en primes de toutes sortes dans la foulée de l'OPA de Rio Tinto en 2007.

Bien qu'il soit un chic type, fort compétent, un Américain qui s'est enraciné à Montréal et qui a réalisé une transaction qui a rapporté beaucoup de fric aux actionnaires d'Alcan à l'époque, Dick Evans a hérité d'une fortune totalement disproportionnée pour les deux années passées à la présidence d'Alcan. Une fortune générée par la seule coïncidence qu'il était là, au bon moment, lorsque l'argent est passé.

Ian Greenberg n'est pas à plaindre bien sûr, mais les actionnaires d'Astral, de toutes catégories qu'ils soient, viennent de lui démontrer clairement qu'il a réalisé une transaction pleinement satisfaisante pour eux.