Jeune adolescent, lorsque que je me retrouvais totalement fauché et que je me plaignais à ma mère de la soudaine pauvreté de mes moyens et des problèmes que cette privation me causait, elle me répétait inlassablement pour me rassurer le proverbe préféré de sa grand-mère: «Plaie d'argent n'est pas mortelle».

À force de me la faire dire, j'ai fini par comprendre la toute grande vérité qui se cachait derrière cette petite phrase. Parce que c'est vrai que le malaise financier a beau générer beaucoup d'inconfort, d'anxiété et de désespoir même, il peut rarement entraîner la mort.

À moins que le malaise ne se transforme en obsession ou que l'état de dénuement soit tel qu'il empêche d'assurer les besoins essentiels d'un individu - comme c'est le cas de centaines de millions d'humains qui tentent de survivre dans des conditions d'extrême pauvreté et dans des environnements hostiles -, le manque d'argent, la panne temporaire ou la pauvreté relative ne nous empêchent pas de vivre et encore moins d'espérer s'en sortir.

C'est le témoignage que nous partagent dans ces pages deux entrepreneurs que mon collègue Hugo Fontaine a rencontré cette semaine. Des entrepreneurs qui se sont enfargés, qui sont tombés mais qui ont pris la décision de se relever et de recommencer.

Survivre discrètement

Un entrepreneur peut donc non seulement survivre à la faillite de son entreprise mais il peut de surcroît retirer des enseignements utiles de cette expérience extrême qui pourront être profitables dans ses nouveaux projets. C'est ce qu'on appelle apprendre de ses erreurs.

Plusieurs entrepreneurs ont réussi à se relever d'une faillite pour bâtir des entreprises solides, efficaces et extrêmement rentables.

Mais la réalité que j'ai pu observer au fil des ans auprès de dirigeants de grandes entreprises qui n'ont pas réussi à éviter les écueils de la faillite, c'est que cette épreuve laisse des stigmates importants. Plaie d'argent n'est pas mortelle, mais elle peut être fatale pour l'image publique d'un entrepreneur.

Une brève recension des faillites les plus retentissantes des 20 dernières années au Québec nous permet de dégager une grande constante.

Tous les PDG-propriétaires qui étaient à la barre des entreprises qui ont sombré ou qui ont été rachetées en raison des problèmes financiers qu'elles éprouvaient, ne sont plus aujourd'hui actifs dans le circuit des affaires. Ou ceux qui le sont encore restent résolument discrets.

En 1992, Raymond Malenfant, qui avait été propriétaire de 18 hôtels, de trois centres commerciaux, d'immeubles à bureaux, de centres de ski et d'un club de golf - et dont la fortune personnelle avait été évaluée à 450 millions -, a officiellement fait faillite. Il n'a jamais tenté de réaliser un retour en affaires, mis à part l'achat d'un motel à Laval.

En 1992, Michel Gaucher, acculé à la faillite, est forcé de démanteler la chaîne de magasins Steinberg qu'il avait acquise avec l'aide de la Caisse de dépôt. Depuis cette expérience désastreuse qui lui a coûté 50 millions de sa fortune personnelle, Michel Gaucher a continué de faire des affaires mais de façon très «low profile».

Il a acheté une entreprise de désencrage en Espagne, puis il est devenu co-propriétaire de l'entreprise de technologie Mindready avant de réaliser des montages financiers dans le secteur de l'énergie en Californie. Son dernier projet est la construction d'un développement de condos de luxe au Mexique.

Bertin Nadeau, le propriétaire du holding Unigesco qui avait pris le contrôle de la chaîne de magasins Provigo - avec la complicité encore de la Caisse de dépôt - a vendu les supermarchés québécois à Loblaw, en 1998.

Après cet échec, Bertin Nadeau est retourné opérer le fabricant d'orgues mondialement connu Casavant et Frères, dont il était propriétaire, ainsi que les Breuvages Kiri. Cette dernière entreprise s'est mise sous la protection des tribunaux en février 2011.

Paul Roberge, qui avait créé un empire dans le commerce du détail, a tout perdu lorsque le lancement à répétition de méga-centres Les Ailes de la Mode a siphonné toutes les liquidités du Groupe San Francisco en 2003.

Paul Roberge est encore actif dans les milieux d'affaires où il est notamment actionnaire de Bikini Village, mais il n'a pas cherché à créer une nouvelle entreprise.

Après avoir été propriétaire de Quebecair puis de Royal Aviation, Michel Le Blanc a lancé le transporteur aérien à rabais Jetsgo, en 2002. Après trois années d'opération, Jetsgo a fait faillite en 2005. Michel Le Blanc s'est complétement retiré des affaires.

Enfin Charles Sirois, le président de Télésystème, a lui aussi opté pour la discrétion depuis la faillite et la vente de Microcell (Fido) à Rogers en 2004. L'entrepreneur s'était aussi départi de Téléglobe et de l'entreprise de téléphonie sans fil international TIW.

Il continue de diriger Telesystem, son entreprise privée de capital de risque, et il est aussi président du conseil de la banque CIBC. Un poste qui commande la discrétion, ce qui correspond tout à fait au profil que Charles Sirois a décidé d'adopter.