Ça n'a pas été un grand match. Mais c'est un jour historique. Pour l'Afrique du Sud, bien sûr. Mais aussi pour un continent qui a produit tant de grands joueurs. Le 11 juin 2010, la planète football s'est mise en orbite autour de l'Afrique.

Il est trop tôt pour mesurer l'impact réel qu'aura ce premier Mondial en terre africaine. Mais il faut se réjouir de l'attention qu'il procurera au cours du prochain mois au pays de Nelson Mandela.

 

La Coupe du monde ne fera pas disparaître la pauvreté d'un coup de baguette magique. Mais au moins, la fièvre patriotique, l'exubérance et la bonne humeur qui animent présentement les Sud-Africains nous sortiront des images aussi misérabilistes que réductrices qui résument trop souvent le portrait qu'on se fait de l'Afrique.

Les quelque 85 000 spectateurs réunis hier à Soccer City pour le duel Afrique du Sud-Mexique n'avaient évidemment pas de telles considérations en tête quand ils ont pénétré dans le spectaculaire stade aux allures de calebasse, calé entre de hautes collines de résidus miniers, non loin de Soweto.

Arrivés en train, en autobus, en voiture et même à pied des quatre coins de la ville tentaculaire qu'est Johannesburg, ils étaient là pour une seule chose: encourager leurs chers Bafana Bafana pour qu'ils triomphent du Mexique. Et qu'ils améliorent ainsi leurs chances de survivre à un groupe difficile comprenant aussi la France et l'Uruguay.

Ils n'y sont pas parvenus, encore que l'attaquant Katlego Mphela ait failli devenir un héros national dans les dernières secondes du temps réglementaire. Mais il a frappé le poteau, consacrant un match nul de 1-1.

Qu'à cela ne tienne. Après un début de rencontre marqué par le jeu très hésitant des Bafana Bafana et la défense souvent brouillonne des deux équipes, un joueur sud-africain a eu l'insigne honneur d'inscrire le tout premier but du tournoi. Et un beau à part ça: un boulet du pied gauche de Siphiwe Tshabalala, qui a trouvé la lucarne à la 55e minute. Le bourdonnement incessant des vuvuzelas, ces infernales trompettes de plastique, a alors atteint son paroxysme, pendant que des milliers de spectateurs vêtus du jaune des Bafana - «les garçons», en zoulou - agitaient le drapeau multicolore de l'Afrique du Sud. Le délire total.

Un absent de taille

Il faudra s'habituer à ces vuvuzelas. Elles seront la trame sonore de ce Mondial.

Elles se sont assourdies pour une rare fois quand le président de la FIFA, Sepp Blatter, et celui de l'Afrique du Sud, Jacob Zuma, ont déclaré ouverte la compétition et rendu hommage à Mandela.

L'absence du vieux leader était parfaitement compréhensible, après la mort accidentelle de son arrière-petite-fille. Elle a cependant privé le peuple sud-africain d'une occasion unique de remercier, peut-être pour la dernière fois, un homme d'exception dont la force tranquille a non seulement ramené l'Afrique du Sud dans le club des démocraties, mais aussi facilité la réintégration du pays dans le monde du sport international, dont elle avait été largement exclue pendant les années de l'apartheid.

Le sport est important en Afrique du Sud. Le pays a produit de grands golfeurs. Les Springboks appartiennent à l'élite mondiale du rugby. Le cricket jouit d'une riche tradition. Les athlètes du pays excellent aussi en athlétisme et en natation.

Mandela a compris depuis longtemps l'immense pouvoir du sport. Sa décision courageuse, lors de la Coupe du monde de rugby, en 1995, d'enfiler les couleurs honnies (par la majorité noire) des Springboks avait lancé un puissant message d'inclusion aux Afrikaners. Mais il a aussi compris la place unique qu'occupe le ballon rond dans le coeur de ses compatriotes. Car aucun sport ne jouit en Afrique du Sud d'une popularité comparable à celle du soccer, premier sport à abandonner la ségrégation raciale, dès les années 70.

En mai 1994, le soir de son investiture comme premier président de l'Afrique du Sud démocratique, Mandela avait abandonné à Pretoria Bill Clinton, Fidel Castro et tout le reste du gratin politique international. Il avait célébré sa victoire en assistant à un match des Bafana Bafana à Johannesburg. Puissant symbole.

Sans les efforts de Nelson Mandela, la Coupe du monde qui s'est ouverte hier n'aurait jamais eu lieu en Afrique du Sud. Souhaitons-lui, et aux Sud-Africains, que les Bafana Bafana poursuivent leur route le plus loin possible dans ce tournoi. Gâcher trop vite pareille fête serait vraiment trop dommage.