Quand le boss de la salle de la rédaction, après le premier tour des séries, a choisi le Canadien pour gagner la Coupe Stanley, je lui ai quasiment ri au nez. «Encore un fan qui pense avec son coeur», me suis-je dit, convaincu que le conte de fées s'apprêtait à tourner au cauchemar.

J'espère, sans trop y croire, que le boss est magnanime et qu'il évitera de se payer ma tête quand je rentrerai au bureau ce matin. Certes, le Canadien a encore beaucoup de chemin à faire avant d'espérer défiler rue Sainte-Catherine. Mais après l'avoir vu accomplir ce qu'à peu près personne - sauf mon boss - ne croyait possible, après l'avoir vu battre coup sur coup la meilleure équipe de la saison régulière et les champions en titre de la Coupe Stanley, qui oserait parier contre lui?

Sûrement pas les 20 000 partisans vêtus de rouge qui ont chanté, dansé et fait la vague dans le Centre Bell, devenu le temps d'un match le plus grand cinéma maison en ville, mercredi soir. Et sûrement pas moi, surtout si Jaroslav Halak continue son numéro de prestidigitateur devant le filet du Tricolore.

Encore surhumain

Le Slovaque a encore une fois été surhumain. Pas besoin de vous décrire ses arrêts. Vous les avez tous vus, à commencer par le vol qu'il a commis sur un tir à bout portant de Sidney Crosby au début de la troisième période, quand le Canadien devait se défendre à quatre contre trois. Halak était en état de grâce devant son filet. Encore une fois. (Pierre Gauthier n'aura pas le choix cet été: s'il ne veut pas se faire lyncher sur la place du Centenaire, il doit lui faire signer une nouvelle entente et en faire officiellement son gardien numéro un.)

On peut bien souligner l'erreur de jugement de Crosby, qui a ouvert la porte au premier but du Canadien en écopant d'une punition après 10 secondes de jeu. On peut critiquer le pauvre Marc-André Fleury pour s'être transformé en passoire (quatre buts en 13 tirs!) et Sergei Gonchar pour avoir réussi une imitation parfaite d'un cône sur le but de Travis Moen. On peut s'étonner qu'une équipe aussi expérimentée que les Penguins ait eu besoin d'une période et demie et d'un recul de quatre buts pour finalement manifester un semblant de sentiment d'urgence.

On peut bien. Mais au final, ce n'est pas une défaite des Penguins. C'est une victoire du Canadien. La victoire d'un entraîneur, Jacques Martin, qui a convaincu ses joueurs d'adhérer à son système, qui les a incités à se sacrifier pour la cause commune et à fondre leurs individualités dans un effort collectif de tous les instants - la marque des grandes équipes.

La révélation

Quand Andrei Markov est tombé au combat dans le premier match de la série, on croyait que c'en était fait du Canadien. Sans le pilier de sa défense, comment pouvait-il espérer prospérer face aux attaques des Crosby, Malkin, Guerin et Staal? C'est pourtant ce que le Canadien est parvenu à faire.

Il l'a fait grâce, notamment, à Hal Gill, à Josh Gorges et à l'inestimable P.K. Subban, la révélation de cette série. Comme d'autres recrues qui ont marqué l'histoire du Canadien en séries éliminatoires - Patrick Roy, Claude Lemieux, entre autres -, il donne l'impression de flotter sur un nuage. Employé dans toutes les situations, même à trois contre quatre (qui a dit que Jacques Martin était un entraîneur prudent ?), il a affiché un aplomb

sidérant face à une supervedette comme Crosby, qu'il n'a pas eu l'air de considérer autrement que comme un égal. Impressionnant. Et inspirant pour l'avenir.

Et les centres

Mais les défenseurs ne sont pas seuls en cause. Que dire des joueurs de centre comme Scott Gomez, Tomas Plekanec (j'espère que ceux qui ont médit sur son compte l'ont regardé aller hier soir, bloquant des tirs, gagnant des mises en jeu importantes) et Dominic Moore qui sont parvenus à contenir leurs dangereux opposants ? Crosby avait obtenu 14 points en six matchs contre Ottawa en première ronde, une série qu'il avait terminée avec une fiche de +7 et 24 tirs au but. Contre Montréal ? Sept points en sept parties, -5 et seulement 16 tirs. Les chiffres ne mentent pas.

Et que dire, finalement, de Michael Cammalleri, le Lucky Luke du Canadien, et de Brian Gionta (deux points chacun mercredi, comme Gomez)? Ces gars-là sont payés une fortune pour faire tourner l'attaque de l'équipe. Et c'est ce qu'ils font.

Le résultat, c'est que le Canadien vient de remporter cinq matchs - cinq! - de suite alors qu'il faisait face à l'élimination. Qu'il vient d'éliminer en sept parties les Capitals de Washington et les Penguins de Pittsburgh. Qu'il s'en va en finale d'association contre Boston ou Philadelphie, avec deux jours de congé de plus en prime.

Peu importe ce qui arrive dans les prochaines semaines - et au fond de moi, une petite voix me souffle que Chicago et San Jose seront de sacrés adversaires si le CH se rend en finale -, le Canadien a déjà accompli l'impossible.

C'est correct, boss. Tu peux rire de moi.