Merci, Nico Rosberg.

Plus tôt cette semaine, le pilote de l'écurie Mercedes, rompant avec l'étiquette de l'univers hyper-policé de la F1, a osé dire l'indicible. «Je me suis pas mal emmerdé à Bahreïn», a avoué le coéquipier de Michael Schumacher à quelques jours du Grand Prix d'Australie, qui aura lieu demain à Melbourne.

Ce n'est pas exactement une révélation. Tous ceux qui ont assisté à l'abrutissante procession dans le désert bahreïni, il y a deux semaines, auraient pu faire le même commentaire.

 

Rosberg peut se consoler en comptant ses millions, contrairement à la quasi-totalité des amateurs de F1 scotchés à leur téléviseur pour le coup d'envoi de la saison 2010. Mais comme la vérité sort rarement de la bouche des pilotes, habitués à ne pas mordre la main qui les nourrit, il est rafraîchissant de constater qu'au moins l'un d'eux ne prend pas le public pour des valises.

La F1 nous promettait un monde de changements en cette première année de l'ère post-Max Mosley. On fait plutôt du surplace.

J'en discutais il y a quelques jours avec l'ancien promoteur du Grand Prix du Canada, Normand Legault. Retiré pour l'instant du monde du sport automobile - et du Groupe Juste pour rire, dont il a quitté la présidence après seulement six mois, en février -, l'homme d'affaires n'en continue pas moins de suivre étroitement ce qui se passe dans le petit monde de Bernie Ecclestone.

Il n'est pas plus impressionné que Rosberg par la quasi-absence de dépassements. «On a changé la couleur des chars et Brawn s'appelle maintenant Mercedes, dit-il. Ce ne sont pas les changements qu'il faut.»

L'interdiction du ravitaillement en essence en vigueur cette année ne suffit pas, constate-t-il. «J'aurais éliminé aussi les changements de pneumatiques, qui sont surtout là pour faire plaisir au manufacturier. Je suis sûr que Bridgestone est capable de fabriquer des pneus qui passeraient au travers d'une course de 305 kilomètres. On reviendrait ainsi à l'essence de la F1, l'art de ménager sa monture pour aller loin.»

En F1, les dépassements s'effectuent en général au freinage. Y a-t-il quelque chose de plus spectaculaire qu'un pilote qui fait l'intérieur à un rival dans un virage, un nuage de fumée s'échappant des quatre roues?

Le problème, c'est que les F1 actuelles sont pratiquement toutes capables de s'arrêter sur une pièce de 10 sous. «Il faut allonger la plage de freinage», croit Legault. Comment s'y prendre? D'abord en réduisant la taille présentement démesurée des ailerons. Ceux-ci augmentent la traînée en ligne droite, mais offrent plus d'appui aérodynamique dans les virages, qui peuvent donc être négociés à des vitesses plus élevées.

«Sur le circuit Gilles-Villeneuve, les voitures filent à 300 km/h dans le droit du Casino et doivent décélérer à 70 km/h dans le virage qui mène à la ligne des stands, souligne Legault. La décélération de 230 km/h se fait dans quoi, 20 m? Avec des ailerons moins développés, les voitures iraient peut-être à 310 km/h en ligne droite, mais à seulement 50 km/h dans le virage. La décélération plus forte nécessiterait une plus longue zone de freinage.» Et donc, plus d'occasions de dépassements.

Au risque de heurter ceux qui croient que la F1 doit demeurer à tout prix, y compris celui du spectacle, la vitrine technologique par excellence du sport automobile, on pourrait aussi cesser de recourir à des matériaux exotiques pour les freins.

Mais comme c'est souvent le cas en F1, les impératifs commerciaux risquent de l'emporter sur les considérations sportives et le simple bon sens. «Pourquoi les écuries s'opposent-elles à la réduction des ailerons? Parce que ce sont les meilleurs espaces publicitaires sur les voitures», souligne Legault.

Il y a longtemps que la F1 a vendu son âme au diable. Mais ça, on le savait déjà.

Il y a évidemment une autre manière de produire des dépassements en F1, qui ne nécessiterait pas de changements radicaux au design des voitures. Il suffirait d'établir la grille de départ en utilisant l'ordre inverse du championnat des pilotes. Qui n'aimerait pas voir Fernando Alonso, Michael Schumacher ou Lewis Hamilton gagner après s'être frayé un chemin de la queue à la tête du peloton? Me semble que ce serait plus exaltant que de les voir caracoler en tête du premier au dernier tour de roue.

Mais c'est sans doute trop simple pour la F1.