Le patinage de vitesse a beau être un sport individuel, il faut parfois accepter de se sacrifier pour l'équipe.

Le patineur québécois Muncef Ouardi l'a bien compris. À moins de deux semaines des sélections olympiques, le sprinter de 23 ans, dont la qualification pour les Jeux de Vancouver est tout sauf assurée, peut difficilement se permettre de sauter la moindre course. Il l'a pourtant fait lors du second des deux 500 m de la Coupe du monde de Salt Lake City, samedi dernier.

Ouardi a accepté de céder sa place à son coéquipier, le multiple champion du monde Jeremy Wotherspoon, qui a repris la compétition cet automne après avoir manqué la quasi-totalité de la saison passée en raison d'une blessure.

«Il a fallu que j'y pense sérieusement», a reconnu Ouardi, huitième de la finale B, la veille, avec un chrono de 35,36 secondes, quatre dixièmes plus lent que son record personnel.

«Si on m'avait dit avant les deux courses que je devrais laisser ma place dans le deuxième 500, j'aurais dit non. Mais je savais que Jeremy avait signifié son intérêt et j'ai demandé à lui parler. Il m'a dit qu'il avait besoin d'affronter les meilleurs, qu'il ne pouvait reproduire ça à l'entraînement ou dans nos courses intra-équipe et que son objectif restait de gagner lors des Jeux de Vancouver. J'étais content d'entendre ça. Ça m'a facilité la tâche.»

Cette solidarité a surpris certains patineurs étrangers. «Je ne suis pas sûr, mais je ne pense pas qu'un Américain aurait fait ça, a dit au New York Times le sprinter Tucker Fredricks, qui détient le record des États-Unis sur 500 m. Tu as gagné ta place et si tu veux patiner, tu vas patiner.»

Beau principe. Mais le geste d'Ouardi était «le geste à faire», a estimé Gregor Jelonek, un des entraîneurs de l'équipe nationale. «Jeremy n'a pas eu la chance de se faire valoir l'an passé et ça a permis à Muncef de participer au championnat du monde par distances, au printemps - ce qui a assuré sa qualification pour les Coupes du monde de l'automne.»

Bref, Ouardi a en quelque sorte retourné l'ascenseur à son vétéran coéquipier. «Je ne l'aurais pas fait pour quelqu'un d'autre, a avoué Ouardi. Mais Jeremy est l'une des raisons pour laquelle je fais du longue piste. Ses performances étaient vraiment inspirantes.»

Le meilleur de l'histoire

Âgé de 33 ans et recordman sur 500 m (34,03 sec.), Wotherspoon est le sprinter le plus dominant de sa génération, pour ne pas dire de l'histoire. Personne n'a remporté plus de victoires que lui en Coupe du monde et il a terminé huit fois au premier rang du classement cumulatif sur sa distance de prédilection, entre 1998 et 2008. Il a aussi été champion du monde de sprint à quatre reprises et deux fois médaillé d'argent.

Malheureusement, après une saison 2007-2008 exceptionnelle - il avait gagné l'or dans neuf de ses 10 courses de Coupe du monde - une chute à Berlin à l'automne 2008 a mis un terme abrupt à sa saison suivante.

Son retour à la compétition ne s'est pas déroulé comme il l'aurait souhaité. Aux sélections nationales, en octobre, il a échoué dans sa tentative de se qualifier sur 500 m pour les premières Coupes du monde de la saison.

Qualifié de justesse sur 1000 m, il a finalement pu disputer une course de 500 m il y a 10 jours, lors de la Coupe du monde de Calgary. L'Albertain Jamie Gregg, qui venait de gagner le bronze sur la distance la veille, lui a gracieusement cédé sa place pour le second 500 m du week-end. Une semaine plus tard, Ouardi l'a imité.

Wotherspoon a apprécié leur générosité, même s'il n'a finalement pu donner sa pleine mesure à Salt Lake City, victime d'un bris d'équipement dans les premiers mètres de la course. «Je suis privilégié de faire partie d'une équipe qui fait tout ce qu'elle peut pour atteindre ses buts, mais parvient malgré tout à être solidaire», a-t-il dit au New York Times.

Le patineur de Red Deer a déjà annoncé qu'il prendra sa retraite au terme de la saison. Les sélections olympiques auront lieu à Calgary entre Noël et le Jour de l'An. Il tentera d'y décrocher l'une des quatre places réservées au Canada sur 500 m. Outre Gregg et Ouardi, ses principaux rivaux seront le Québécois Vincent Labrie, l'Albertain Kyle Parrott et le Manitobain Mike Ireland.

Une participation aux Jeux de Vancouver lui permettrait de combler le vide béant qui subsiste dans son CV par ailleurs exceptionnel: une médaille d'or olympique. Après avoir gagné l'argent à Nagano, en 1998, il a en effet fait chou blanc à Salt Lake et à Turin.

Si Wotherspoon réussit l'exploit, Muncef Ouardi pourra se dire que son sacrifice n'a pas été vain.