D'abord, un aveu. Dans ma voiture, quand je n'écoute pas Radio-Canada ou CKAC, la radio est habituellement branchée à CHOM. Oui, j'écoute «l'esprit du rock montréalais», même si la station est depuis longtemps devenue une caricature d'elle-même, une radio nostalgie pour les 35-55 ans. On ne se refait pas.

Le problème de CHOM, ce n'est pas seulement Hotel California (pu capab'!). C'est le contenu canadien. J'ai sûrement dépassé depuis longtemps la dose maximale d'exposition aux classiques de Bachman Turner Overdrive, Tragically Hip et Bryan Adams. J'ai tellement entendu American Woman que je crains de me réveiller un jour avec la moustache du chanteur des Guess Who, Burton Cummings.

En toute logique, je devrais être allergique aux quotas qui visent à protéger artificiellement les industries canadiennes. Mais je ne suis pas toujours une personne très logique, et encore moins lorsqu'il est question de la Ligue canadienne de football.

Les dirigeants de la LCF ont entrepris avec l'Association des joueurs la renégociation de leur convention collective. Ils chercheraient notamment à réduire le ratio de joueurs «non importés», mieux connus sous le nom de «joueurs canadiens».

La nouvelle a causé un tollé ailleurs au pays. De fait, de la part d'une ligue dont le slogan - «This is OUR league» - joue à fond la carte du patriotisme «canadian», l'idée est pour le moins étonnante.

Les joueurs (canadiens) des Alouettes en qui j'en ai parlé respectent la consigne du silence de leur association. Mais à micros fermés, ils ne cachent pas leur désaccord. «Pour créer de l'engouement pour notre sport, il faut des joueurs québécois et canadiens», m'a dit l'un d'eux.

L'entraîneur des Carabins de l'Université de l'Université de Montréal, Marc Santerre, est lui aussi farouchement opposé à une réduction des effectifs canadiens dans la LCF. «Le football canadien ne s'est jamais autant développé, alors ce serait ramer à contre-courant. Et ce serait donner un coup de massue aux joueurs universitaires qui rêvent de jouer un jour dans la LCF.»

Quelques chiffres pour mieux comprendre. L'alignement actuel de 42 joueurs des équipes de la LCF va comme suit: trois quarts-arrières exclus des quotas (des Américains dans 99,9% des cas), 16 Américains, 20 Canadiens et trois Américains «désignés» qui peuvent seulement jouer au sein des unités spéciales ou en remplacement de partants américains. Concrètement, cela signifie qu'il y a toujours un minimum de sept Canadiens sur les 24 partants.

La LCF aimerait supprimer la catégorie des joueurs importés «désignés». Le nombre de partants américains pourrait ainsi passer de 16 à 19. Et le nombre de partants canadiens pourrait chuter de sept à seulement quatre.

C'est une bien mauvaise idée. Le quota de partants canadiens, autrefois fixé à 10, a déjà été réduit. Si on diminue encore le nombre de places réservées aux Canadiens, on risque de se retrouver avec quatre joueurs de ligne offensive plus ou moins anonymes - et rien d'autre.

Le ratio de joueurs partants canadiens, fait-on valoir, devient un casse-tête quand les blessures se multiplient. Possible. Mais est-ce que cela ne devrait pas plutôt inciter les équipes à mieux recruter et développer leurs joueurs canadiens? La réduction des quotas est la voie de la facilité pour des hommes de football paresseux.

On peut jouer la carte canadienne et connaître du succès. Prenez les Alouettes. Plusieurs joueurs locaux ont été blessés cette saison. Ça n'a pas empêché l'équipe de finir première dans l'Est et d'employer régulièrement plus que le minimum de joueurs canadiens. Même chose pour les Roughriders de la Saskatchewan, champions de la division Ouest.

Le quota de joueurs canadiens est aussi un outil efficace pour assurer une continuité au sein des alignements. Les joueurs américains ne sont pas tous comme Anthony Calvillo, qui a fait son deuil de la NFL il y a longtemps pour faire carrière au Canada. Plusieurs Américains se servent de la LCF comme d'un tremplin pour atteindre la NFL ou pour y retourner. Si on augmente leur nombre, le roulement de personnel, déjà élevé, ne fera que s'accentuer.

Plus il y a de visages connus au sein des équipes de la LCF - des gars comme Bruno Heppell, Éric Lapointe, Matthieu Proulx ou Étienne Boulay -, plus on s'assure de retombées positives dans les rangs collégiaux et universitaires. Ce sont ces joueurs, très visibles dans les médias, qui donnent aux jeunes l'espoir de jouer chez les pros. «Ça donne l'idée que c'est accessible et ça incite des décrocheurs potentiels à rester à l'école», souligne Marc Santerre.

La popularité de la LCF ne tient pas seulement au calibre du jeu sur le terrain. (Heureusement, diront les mauvaises langues.) Elle dépend aussi beaucoup du fort sentiment d'identification des fans envers les Proulx, Boulay, Heppell, Vercheval ou Dalla Riva. Un sentiment qui serait forcément dilué, atténué, si la ligue maintenait sa volonté de réduire le ratio de joueurs canadiens.

Franchement, ce serait aussi anti-canadien que de demander à Burton Cummings de se raser la moustache.