Chers Geoff, Andrew et Justin,

C'est fou comme le temps passe. Cela fera bientôt cinq mois que votre famille a mis la main sur le Canadien de Montréal, mais on attend toujours que le conseil des gouverneurs de la LNH approuve la transaction. Une question de semaines, tout au plus, dit-on. George Gillett a sûrement hâte de tourner la page. Ses banquiers aussi, d'ailleurs.

Mais vous? Maintenant que les mois ont passé, que la frénésie qui a entouré le processus de vente du club est retombée, êtes-vous toujours aussi enthousiastes? Êtes-vous toujours convaincus d'avoir fait une bonne affaire? Même avec un amphithéâtre et une société de promotion de spectacles, 575 millions, c'est quand même beaucoup d'argent pour une équipe qui ressemble à un club de la Ligue américaine, non?

L'été a fait place à l'automne. Et les belles promesses qui ont fait vibrer les partisans du Canadien quand Bob Gainey a remplacé la moitié de l'équipe d'un seul coup, en juillet, ont fané comme les feuilles des arbres en octobre. Le Canadien est parti à la dérive et on ne sait pas trop comment Jacques Martin va s'y prendre pour le ramener dans le droit chemin.

Je connais votre passion pour le CH. Je ne serais d'ailleurs pas étonné que le sang coule bleu-blanc-rouge dans vos veines tant l'ADN des Molson est inextricablement lié à celui du Canadien. D'ailleurs, ces jours derniers, j'ai beaucoup pensé à votre grand-oncle, le sénateur Hartland de Montarville Molson. Je le revois encore, assis dignement derrière le banc du Tricolore, au Forum. C'est en apercevant Andrew à ses côtés, au début des années 90, que j'ai compris que le jeune homme sympathique que je côtoyais à la fac de droit de l'Université Laval appartenait à votre clan.

Je me demande ce que votre grand-oncle penserait de l'équipe actuelle du Canadien. Des défaites gênantes comme celle de 2-0 contre les Predators de Nashville, samedi, lui auraient sûrement fait mal, comme elles doivent vous blesser.

Quand vous étiez enfants, il vous arrivait de patiner avec les joueurs du Canadien sur la glace du Forum. Vous avez connu Lafleur, Lemaire et Shutt. Vous avez connu le Big Three de Savard, Lapointe et Robinson. Vous avez connu Gainey. Une époque bénie.

Aujourd'hui, vos propres enfants doivent se contenter du Little Three de Gomez, Cammalleri et Gionta, dont le pivot gagne 8 millions cette année et affiche deux gros buts en 20 matchs. Pas sûr que Scotty Bowman aurait enduré ça bien longtemps.

Vous connaissez assez le hockey pour savoir que les blessures n'expliquent pas tout, même si, d'Andrei Markov à Hal Gill en passant par Brian Gionta, Jaroslav Spacek, Ryan O'Byrne et Matt D'Agostini, elles sont nombreuses chez le Canadien.

Au quart de la saison, le CH demeure une équipe sans identité. Une équipe amorphe et sans cohésion, qui peine à exécuter une sortie de zone dès qu'une pression le moindrement forte s'exerce sur elle. Une équipe qui ne marque pas assez de buts. Qui s'en remet à ses gardiens pour gagner. Et qui n'est même pas foutue d'y arriver quand ceux-ci font des miracles, comme Carey Price samedi.

Peut-être que Jacques Martin va parvenir à réparer la machine détraquée de son équipe. Peut-être que Sergei Kostitsyn va revenir de Hamilton et donner au Canadien au moins un ailier potable en dehors du premier trio. Peut-être que Roman Hamrlik va survivre à la surcharge de travail qu'on lui impose. Peut-être. Peut-être.

Quoi qu'il arrive, une chose devrait être claire dans votre esprit au moment où vous prendrez officiellement le contrôle du Canadien: la saison 2009-2010 est un référendum sur le travail de Bob Gainey.

En faisant le grand ménage l'été dernier, votre directeur général a ni plus ni moins désavoué son travail des cinq saisons précédentes. Il a parié que l'injection massive de sang neuf, sous la supervision d'un entraîneur au long cours comme Jacques Martin, donnerait au Canadien le tonique nécessaire pour sortir de la médiocrité dans laquelle il baigne depuis trop longtemps.

Le pari était intéressant. Il le demeure. Mais dans une ville folle de hockey, une ville où la Coupe Stanley n'est pas venue faire son tour depuis 16 ans, bientôt 17, c'est un pari, convenez-en, qui ne peut rester sans conséquence en cas d'échec au terme de la saison.

Cordialement,

Jean-François Bégin