Dans la hiérarchie d'un club de football, l'entraîneur au contrôle de la qualité arrive tout en bas. Ce poste méconnu, porte d'entrée habituelle pour les jeunes qui aspirent à devenir un jour entraîneur-chef ou coordonnateur, a pourtant été le tremplin de plusieurs grandes carrières, dans la NFL comme dans la Ligue canadienne de football.

Jean-Marc Edmé sourit quand je lui demande s'il a une copine. «Présentement, je n'ai pas de vie. Si j'avais quelqu'un dans ma vie, il faudrait qu'elle accepte le travail que je fais!» L'ancien centre-arrière du Vert et Or de l'Université de Sherbrooke a un job assez prenant merci: il est entraîneur au contrôle de la qualité en défense chez les Alouettes de Montréal.

 

«Contrôle de la qualité» ? Non, l'entraîneur-chef Marc Trestman et les Oiseaux ne sont pas à la recherche d'une certification ISO. Cette appellation obscure décrit plutôt le rôle ingrat mais essentiel que jouent dans la plupart des équipes de football de jeunes hommes déterminés à apprendre le métier d'entraîneur.

Car on ne devient pas Bill Belichick (ou Marc Trestman) du jour au lendemain. Il faut commencer au bas de l'échelle. Et disons-le franchement, il n'y a pas d'échelon plus bas que celui sur lequel est perché l'entraîneur au contrôle de la qualité.

La mission principale de Jean-Marc Edmé: décortiquer les vidéos des parties récentes des futurs adversaires des Alouettes et inscrire dans le système informatique des Alouettes la masse de données sur laquelle le coordonnateur défensif Tim Burke et ses adjoints se fondent pour concevoir leur plan de match.

C'est un travail exigeant, qui a beaucoup évolué depuis l'époque où Burke a commencé dans le métier, il y a 32 ans. «On travaillait à la main ou avec des ordinateurs rudimentaires, et avec du film au lieu de la vidéo, dit-il. L'évolution de la technologie n'a pas rendu le travail plus facile, bien au contraire, car on peut aujourd'hui analyser plus de choses qu'avant.»

Edmé travaille aussi sur le terrain. Il donne un coup de main à l'entraîneur de la ligne défensive, Mike Sinclair, et supervise l'équipe de réservistes qui jouent le rôle de l'attaque du club adverse lors des séances d'entraînement. «C'est fou comme j'apprends», dit le jeune homme de 29 ans.

École de formation

Le contrôle de la qualité est en effet une école formatrice, dont les «diplômés» réussissent généralement à bien se placer. Le New York Times soulignait récemment que pas moins de neuf entraîneurs de la NFL embauchés depuis quatre ans ont fait leurs premiers pas dans le circuit Goodell comme entraîneurs au contrôle de la qualité, dont Tony Sparano (Dolphins), Brad Childress (Vikings) et Todd Haley (Chiefs).

L'ancien entraîneur des Buccaneers et des Raiders, Jon Gruden, aujourd'hui commentateur au Monday Night Football, a aussi commencé comme ça: embauché par les 49ers en 1990, il passait la plupart de ses nuits au bureau et gagnait 500$ par mois pour reproduire sur son ordinateur le livre de jeux du coordonnateur offensif Mike Holmgren.

Cinq cents dollars, ce n'est pas le Pérou. Mais c'est quand même 500$ de plus que ce qu'empochait Danny Maciocia quand il a occupé le poste avec les Alouettes, en 1996 et 1997. Étudiante à McGill, sa copine Sandra travaillait les fins de semaine pour payer le loyer et l'automobile du couple. Et elle ne voyait pas souvent son chum!

«Un soir, il était 22h30 et il ne restait que l'entraîneur-chef Bob Price et moi au Stade olympique, se souvient Maciocia. J'avais rendez-vous avec Sandra pour aller prendre un café et elle m'attendait sur l'avenue Pierre-de-Coubertin. En sortant, j'ai dit bonne nuit au coach Price. Il m'a répondu «Qu'est-ce que tu veux? Être entraîneur dans la Ligue canadienne ou être en amour?» Je suis allé voir ma blonde pour lui dire que je resterais quelques heures de plus, finalement! Elle n'était pas très contente, mais c'est là que j'ai réalisé qu'elle était prête à faire presque n'importe quoi pour ma carrière.»

Les sacrifices du couple n'ont pas été vains. Après deux ans, Maciocia - qui a épousé Sandra en 1997 - a fini par obtenir un poste rémunéré d'entraîneur des porteurs de ballon des Alouettes, puis de coordonnateur de l'attaque, avant d'occuper les mêmes fonctions avec les Eskimos, dont il est devenu l'entraîneur en 2005 et le directeur général en 2008. Belle ascension pour l'ancien coach des Cougars de Saint-Léonard, premier entraîneur canadien des Eskimos en plus d'un demi-siècle.

Lui-même un produit de l'organisation des Cougars, Edmé ne cache pas son admiration pour Maciocia. «C'est difficile pour les Canadiens, car le métier est dominé par les Américains. Alors il faut faire ses preuves. Danny Maciocia est une inspiration pour tous les jeunes d'ici qui veulent aller dans le coaching. Il est la preuve que c'est possible.»

Edmé en est à sa troisième année dans la LCF. Après son passage avec le Vert et Or, il a fait une maîtrise en administration du sport à l'Université Laurentienne de Sudbury. Ça l'a conduit à un stage bénévole auprès de Marcel Desjardins, alors directeur général des Tiger-Cats de Hamilton. Quand Desjardins est revenu chez les Alouettes comme adjoint à Jim Popp, l'an dernier, il a obtenu pour son protégé une entrevue avec Marc Trestman. Edmé a décroché le job.

Cette année, il gagne assez pour vivre, dit-il. Mais il travaille dur: 12 à 14 heures par jour. Il faut être passionné. «L'an dernier, ma mère m'a même demandé si c'était normal que je travaille autant d'heures! raconte Edmé. Ce n'est pas du neuf à cinq. On ne sait jamais à quelle heure on va partir.»

C'est un passage obligé, souligne Marc Trestman. «C'est l'équivalent d'un interne ou d'un résident en médecine à qui on impose deux quarts de garde consécutifs pour le pousser à bout. On veut voir s'il peut composer avec les heures et les exigences.»

Jusqu'ici, Jean-Marc Edmé passe le test. «Je ne regrette rien, dit-il. J'ai toujours rêvé de faire partie des Alouettes et de travailler dans le football. Je vais continuer à développer mes contacts. On verra ce que l'avenir me réserve.» Avec un peu de chance, il finira peut-être même par trouver le temps d'avoir une vie sentimentale...